Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai fait précéder l’ouvrage par quelques réflexions sur le Théâtre allemand bien adoucies et aussi peu hétérodoxes que je l’ai pu. J’ai tâché de déclarer que je préférais notre Théâtre à tous les autres, et je l’ai dit encore plus que je ne le pense. Mais je ne veux point proposer d’innovations à mes risques et périls, et de toutes les réputations celle que j’aimerais le moins serait celle d’un novateur. Je ne crois pas d’ailleurs que les innovations préméditées réussissent ; quand une littérature est jeune, elles se font d’elles-mêmes. Quand une littérature est vieille, on a beau les essayer, elles ne prennent pas plus qu’une branche verte qu’on voudrait enter sur un arbre mort. Tout ce qu’on peut faire en France, dans notre état de décrépitude, c’est du galvanisme et non de la vie.

Sortirons-nous de cet état de décrépitude ? Certainement ce ne sera pas exprès. Notre volonté n’y peut rien, ou plutôt nous ne pouvons pas avoir de volonté. Il n’y a que la religion qui puisse nous ressusciter comme il n’y a que les miracles qui ressuscitent les morts. Mais ce ne sera pas si l’on prend la religion comme moyen de littérature. C’est la tuer un peu plus. Il faut tâcher d’y croire gratis, car quand on veut y croire dans un but on n’y croit pas.

Je suis bien moins éloigné que vous ne le pensez de votre manière de sentir sur la religion. Ce ne sont pas les pratiques que je blâmé, au contraire je les aime, et elles me font du bien. Je ne blâme que la volonté de les imposer aux autres. Chacun a ses pratiques, ses croyances, son genre de rapport avec Dieu. Nul ne peut faire entrer un autre dans sa route, parce que nul ne peut rendre un autre soi. Ma religion consiste en deux points : vouloir ce que Dieu veut, c’est-à-dire lui faire l’hommage de notre cœur ; ne rien nier, c’est-à-dire lui faire l’hommage de notre esprit. Ces deux points donnés, la route est établie de la terre au ciel, et chacun pour soi trouve cette route pleine de protection, de consolation intérieure, et d’une providence particulière que nul ne peut prouver, mais qui se fait sentir à chacun à chaque pas.

Je vous le jure, cher Prosper, je ne sais plus du tout comme on pourrait vivre sur la terre, au moins comme j’y pourrais vivre sans l’appui du ciel, et je dirai, sans vouloir défier le malheur, car je ne sais ce que le malheur pourrait produire physiquement et moralement sur moi, je dirai qu’avec cette