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va montrer qu’au contraire la Révolution n’a pas rompu la marche des événemens, qu’elle est un épisode de dimensions extraordinaires, sans doute, mais de même nature et soumis aux mêmes lois que les autres ; il la présente comme une suite nécessaire de l’histoire de l’Europe et fait voir « que cette révolution n’a point porté de conséquence même la plus singulière qui ne découle de cette histoire et ne s’explique par les précédens de l’ancien régime. » Cette thèse neuve et féconde, l’historien la développe avec une richesse d’aperçus, il l’établit avec une abondance et une force de démonstration qui, sur les points essentiels, ne permettent pas la contradiction. C’est l’idée inspiratrice du livre ; c’en est l’âme. Est-il besoin de redire que les Jacobins n’eurent qu’à reprendre les maximes du pouvoir absolu et à s’approprier les mesures des anciennes proscriptions, sans d’ailleurs que ce soit pour eux une excuse d’avoir emprunté ses pires pratiques au régime qu’ils prétendaient détruire ? Mais à la fin du XVIIIe siècle on retrouve dans toute l’Europe ce goût de réformes et de nouveautés, cette inquiétude, cet enthousiasme, ces espérances qui vont amener la Révolution. Si elle éclate d’abord en France, c’est parce que la France était alors le pays le plus prospère, celui où les institutions du moyen âge ayant été le plus complètement détruites, on en supportait les débris avec plus d’impatience. Si la France la première adopte et propage à travers le monde les idées de la Révolution, c’est grâce à ces facultés d’enthousiasme et de vertu conquérante qui, à d’autres époques, l’ont pareillement caractérisée. La France n’a pas changé et ce sont ses « morts » les plus lointains qui « parlent » et qui agissent par la voix et par les actes de leurs descendans. Les hommes qui gouvernent la France en 1795 sont ces formidables légistes, armés et bardés de fer, descendans directs des chevaliers ès lois de Philippe le Bel, émules excessifs de Richelieu, continuateurs démesurés de Louvois. Les « frontières naturelles, » que réclament les Conventionnels pour la France, sont celles mêmes que la légende avait esquissées et que l’histoire dessinait depuis des siècles. L’élan qui pousse les soldats de la Convention contre l’étranger procède de la même révolte de sentiment national, de la même impulsion héréditaire qui avait sauvé la France, aux temps de la guerre de Cent ans et des guerres de religion. La victoire réveille dans les âmes tous les instincts anciens de gloire, de croisade, d’éclat et d’aventures, « ce fonds de roman de chevalerie et de chanson de geste que porte en soi chaque Français. »

Un exemple entre cent fera bien comprendre quelle lumière