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affligeantes, lorsque, — oh ! honte sur ces Anglais dégradés ! — quelques-uns de mes compatriotes entrèrent au café, et, d’un air de parfait contentement de soi, me montrèrent leurs mouchoirs, qu’ils avaient obtenu la permission de plonger dans le sang du roi.


Quelques mois plus tard, notre homme était à Calais, où il attendait le retour de sa maîtresse. Il rencontra là un « duc français, » qui lui sembla singulièrement désireux de se lier avec lui : mais il faisait voir, dans sa conversation, une telle violence de « principes démocratiques » que Whaley crut devoir « écarter ses avances, autant du moins qu’il pouvait le faire sans manquer à la politesse. » Or ce duc, une nuit, en grand mystère, vint frapper à la porte de l’Irlandais, et lui avoua que lui-même et plusieurs de ses amis n’affectaient le républicanisme que pour mieux servir les intérêts de la famille royale : après quoi il demanda à Whaley si celui-ci consentirait, moyennant mille louis, à se rendre aussitôt à Paris, avec certains papiers qu’il remettrait, en mains propres, à certain personnage « dont on désirait que le nom ne fût point révélé. » Et comme Whaley s’excusait de ne pouvoir pas quitter Calais avant deux ou trois jours, le mystérieux conspirateur parut atterré de cette réponse : il déclara au jeune homme « qu’un simple délai de quelques heures suffirait pour faire échouer tout un vaste projet. »

Nous aimerions à savoir ce que pouvait être ce « projet, » dont l’échec n’a peut-être tenu qu’à la présence, éminemment fortuite, cette nuit-là, dans la poche de Whaley, d’assez d’argent pour préserver l’aventurier de la tentation de gagner les mille louis qu’on lui proposait ; mais Whaley nous dit seulement que, depuis, « jamais plus il n’a eu de nouvelles du duc, ni de ses papiers. » En fait, il commençait dès lors à se désintéresser de la politique française, ayant formé le dessein de transporter en Angleterre sa fructueuse industrie de commanditaire de tripots. Et le lecteur apprendra avec plaisir qu’à sa mort, en 1800, il avait déjà suffisamment reconstitué sa fortune pour devenir l’ami intime du prince de Galles (on raconte même qu’il lui aurait gagné, aux cartes, une de ses maîtresses), pour épouser la sœur d’un lord et pour se faire bâtir un superbe château.


T. DE WYZEWA.