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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/658

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le voir, se prodiguait en pure perte au quartier général russe, les divers émissaires chargés par Louis XVIII d’agir là ou ailleurs dans le même dessein n’étaient pas plus heureux. Le comte de Bruges, émigré français admis au camp des alliés comme colonel au service de l’Angleterre, Narbonne en Espagne où il s’était rendu en revenant de Suède, le comte de Trogoff, ancien officier de marine, émigré lui aussi, envoyé en Autriche où il avait servi avec un grade supérieur, se heurtaient au mot d’ordre que toutes les puissances coalisées semblaient s’être donné : Ne pas employer les Bourbons[1]. Blacas lui-même, qui s’était réservé la tâche de rallier aux vues de son maître le comte de Liéven récemment arrivé à Londres en qualité d’ambassadeur de Russie, entendait ce diplomate objecter à ses demandes qu’il le sollicitait d’appuyer auprès de sa cour, des argumens analogues à ceux qu’on opposait partout aux messagers royaux. Sous un langage presque obséquieux envers Louis XVIII, le comte de Liéven ne refusait pas l’appui qu’on lui demandait ; mais il prédisait que les requêtes qu’il s’agissait de faire aboutir étaient condamnées d’avance. Les puissances ne pouvaient rien pour les Bourbons tant qu’elles ne seraient pas en France. Moins sincère que ne l’avait été Alexandre en recevant La Ferronnays, ou ignorant les véritables desseins des alliés, il déclarait que ce n’était pas en France qu’ils voulaient porter la guerre, qu’ils ne souhaitaient même pas d’y aller et que, lorsqu’ils auraient obligé Napoléon à repasser le Rhin, ils seraient disposés à lui accorder la paix. C’est uniquement l’Allemagne qu’ils défendaient contre ses entreprises.

  1. Sur ces diverses missions auprès des souverains étrangers, il règne beaucoup de confusion et d’obscurité, ce qui nous oblige à nous contenter de les mentionner. Il en est de même de plusieurs autres qui, à partir d’octobre 1813, furent confiées pour l’intérieur de la France à de fidèles partisans du Roi. Celle que reçut l’un d’eux, le comte de Chabannes, et dont je n’ai pu découvrir l’objet, rappelle à l’honneur de ce gentilhomme un trait qu’il y a lieu de retenir ici.
    En 1793, ayant écrit au Comte de Provence alors à Haram, pour lui offrir ses services, il en avait reçu cette réponse datée du 10 février : « Je suis fort touché, monsieur, des nobles sentimens que vous m’exprimez, et certes quand le jour de la vengeance arrivera, je compte sur vous pour m’y aider. — Louis-Stanislas-Xavier. »
    Chabannes avait pieusement conservé ce billet. Vingt ans plus tard, le 28 octobre 1813, au moment de se jeter en France par ordre de Louis XVIII, il le lui renvoyait après avoir écrit sous la signature du prince : « Sire, votre fidèle sujet a cherché à répondre aux bontés et à la confiance honorable que Votre Majesté a daigné lui témoigner. S’il meurt pour vous servir, il prend la liberté de vous recommander sa femme et ses enfans. — Chabannes. »
    Nous avons sous les yeux ce double et touchant autographe.