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personnes, à en croire Bouillé, que Napoléon ne régnera plus, ni lui, ni le roi de Rome, m’entendez-vous ? Et vous croyez peut-être que j’ai l’ambition de me mettre à leur place ; non, messieurs, vous seriez dans une grande erreur : ce n’est pas moi, c’est un autre que j’y mettrai.

« Je tenais ceci du général Tattenborn, qui était présent et qui me le dit en sortant du conseil, écrivait Bouillé. Depuis, le prince me l’a confirmé lui-même. Il me semble qu’il ne pouvait guère s’exprimer plus clairement et plus correctement. »

Dans la même lettre, après avoir fulminé contre Mme de Staël, qu’il accusait d’envoyer de Londres au prince royal les plus détestables conseils et de tenir sur les Bourbons des propos odieux, Bouillé racontait qu’au quartier général russe où il s’était rendu pour remettre à l’Empereur une lettre du prince de Condé, il avait vu le comte de Nesselrode ; il répétait les paroles que le ministre d’Alexandre lui avait adressées :

— Dites à vos princes, quand vous les reverrez, que nous serions trop heureux de les rétablir en France, que nous ne désirons rien de plus, mais que nous ne pouvons rien faire pour cela dans ce moment-ci. Qu’ils laissent donc cette question entièrement entre nos mains ! Qu’ils restent tranquilles ! Qu’ils ne se tourmentent et ne s’agitent pas ; surtout, qu’ils n’envoient personne et n’écrivent rien.

Le général Pozzo di Borgo, à qui Bouillé devait d’avoir été reçu par Nesselrode, lui avait parlé le même langage et même confié que les souverains alliés proposeraient encore une fois la paix à Bonaparte aux conditions les plus favorables, quoique convaincus « que ce maître fou n’écouterait rien. »

Ces deux propos présentaient beaucoup d’analogie avec ceux que Bernadotte lui avait tenus. Ils révélaient trop clairement, de la part des cours coalisées, la volonté de ne pas utiliser le roi de France pour que Bouillé pût se flatter de l’espoir de la fléchir. Il ne lui restait donc qu’à rentrer à Londres, où il arriva au mois de février 1814.

À ce moment, Louis XVIII, par l’intermédiaire de Blacas, était en communication constante avec Mme Moreau. A la mort de son mari, elle avait assuré le Roi de son indestructible dévouement. Elle le lui prouvait maintenant en lui communiquant les nouvelles que lui envoyait du théâtre de la guerre le colonel Rapatel. l’ancien aide de camp du général, resté à l’état-major