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lorsqu’il se décide à quitter la partie, il est incapable de boucler une courroie ou d’assujettir son vêtement. Aux imprudences de la jeunesse qui se paient largement avec l’âge, s’ajoutent l’incommodité des gîtes, les auberges de propreté équivoque avec le voisinage du cabaret attenant où, sinon chaque jour, tout au moins le dimanche, les disputes, les chants, les vociférations des ivrognes troublent votre repos fort avant dans la nuit. Joignez-y les longues réclusions causées par des pluies incessantes où par ces températures implacables pendant lesquelles la végétation elle-même, flétrie et brûlée, semble demander grâce. Mais vienne une saison plus clémente et, avec la possibilité de reprendre le travail, tous ces ennuis sont bien vite oubliés. On a dit qu’il n’était guère de préoccupation qu’une heure de bonne lecture ne parvînt à dissiper ; combien les diversions que procure l’étude d’après nature sont plus salutaires encore et plus efficaces ! Elles exigent de vous une participation plus active ; en sollicitant toute votre attention, elles vous obligent à sortir de vous-même et arrivent à vous absorber complètement.

La meilleure preuve de cette action salutaire de la nature c’est l’attachement passionné qu’elle a inspiré à tous les grands paysagistes. Dans l’intervalle d’un court répit de la maladie qui devait l’emporter, Rousseau voulait revoir « sa chère forêt. » Au cours d’une dernière promenade en voiture, il s’était fait conduire aux beaux endroits ; il s’attendrissait en revoyant les bruyères fleuries et les vieux chênes « qu’il avait tous dessinés depuis trente ans et dont il avait les portraits dans ses cartons. » Le bon Corot, à son lit de mort, se louait de sa vie, se montrait plein de reconnaissance des pures jouissances que lui avaient values « son amour de la nature, de la peinture et du travail. » Et l’ami, à qui, en même temps que ses adieux, il adressait ces suprêmes confidences, Français, repassant lui-même, quelques années après, toute sa carrière, écrivait à Edouard Charton dans une de ses dernières lettres : « Ceux qui aiment la nature et qui s’exercent à la comprendre et à l’approfondir trouvent la récompense de leurs efforts, tout au moins en eux-mêmes… Si j’étais à recommencer ma vie, je me ferais encore peintre de paysage. »