Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à de si flatteuses instances. Dans la coulisse, d’ailleurs, des marchands avisés donnent la note à ceux qui conduisent le chœur triomphal et la foule toujours croissante des snobs emboîte le pas avec sa docilité moutonnière, raffinant, épiloguant, se flattant de tout comprendre, même lorsqu’il n’y a rien, distinguant nettement ce qui échappait au vulgaire, même lorsqu’on a oublié d’allumer la lanterne. Ainsi que les admirations, les dédains de ces dilettantes sont faits d’ignorance, et, comme ils ne regardent pas plus la nature qu’ils ne connaissent l’art du passé, leur incompétence universelle autorise chez eux ces affirmations tranchantes dont ils sont coutumiers, sans qu’ils s’aperçoivent des démentis qu’à chaque instant ils se donnent à eux-mêmes.

La paresse des jeunes gens et leur désir d’arriver s’autorisant de pareilles complicités, ils s’improvisent peintres à l’âge où ils devraient apprendre leur métier, et, pour conserver leur précieuse individualité, ils négligent d’acquérir par des études désintéressées cette instruction professionnelle que plus tard ils seront incapables de se donner. Aussi le nombre des artistes va toujours croissant et les moyens de se distinguer deviennent aussi toujours plus difficiles. Pour qu’on puisse s’y reconnaître, les groupemens établis entre eux reçoivent les dénominations les plus variées : intimistes, pointillistes, orientalistes, coloniaux, peintres de la mer, de la montagne ou de la plaine, intransigeans, indépendans, gens du monde des deux sexes, employés des chemins de fer ou des diverses administrations, etc., ils trouvent tous où montrer leurs œuvres. Du commencement de l’automne jusqu’après la fin du printemps, les expositions se succèdent ou se juxtaposent incessamment, dans les deux palais et les serres des Champs-Elysées. A côté des deux ou trois salons réglementaires, l’horticulture, les chiens, les animaux gras, l’automobilisme ont leurs salons particuliers, sans parler des cercles et des innombrables locaux où, à grand renfort de réclames, les marchands de tableaux ne se lassent pas de vous convier. Involontairement on se demande où vont toutes ces œuvres ? de quoi vivent leurs auteurs ? Questions sans doute indiscrètes et qu’il est prudent de laisser sans réponse.

Dans ces exhibitions multiples, certains artistes, tout fiers de leur liberté et comptant sur leurs seules forces, se présentent au public, isolés ou associés entre eux par des tendances ou des goûts communs. A l’exemple de ces parvenus qui éprouvent le