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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/934

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Toute la gloire et tout l’amour sont superflus :
Et, comme un grand feu mort qui brusquement rougeoie,
Son désir renaîtra des cendres de sa joie !


Cela même fait la noblesse d’un esprit, d’être toujours en quête de satisfactions plus hautes. Mais d’ailleurs faut-il se révolter contre ce qui est la loi ? A quoi bon ces anathèmes qu’on sait inutiles ? Et le secret n’est-il pas de goûter, dans la mesure où il nous est accordé, un bonheur dont s’illuminent tout au moins quelques heures ou quelques minutes exquises ? L’égoïste ou l’enfant malade s’isole en lui : l’homme se soucie de prendre sa place dans l’ordre éternel, de collaborer pour sa part humble à l’univers. Dans les mouvemens de son âme il retrouve ceux de toute l’âme humaine, comme en présence d’une soirée radieuse il songe à des soirs innombrables, où il ne vivait pas, où il ne vivra plus. L’immensité de l’espace et du temps se révèle à la créature. chétive et éphémère ; et c’est pourquoi la pensée du poète s’élève jusqu’au maître, ordonnateur de l’apparence universelle, et son livre s’achève par un hymne au Dieu inconnu.

La pièce la plus considérable du livre de M. Gregh est celle qu’il intitule Les Ancêtres. C’est une sorte de vision de Légende des siècles. Le poète imagine que, dans une plaine immense et surnaturelle, il aperçoit groupés des milliers d’hommes et de femmes. A mesure que ses yeux se fixent sur cette foule énorme et parviennent à en démêler la confusion, il reconnaît que tous ces êtres échelonnés à l’infini forment la série de tous ceux qui l’ont précédé dans sa race et qui forment la chaîne multiple et complexe de ses ascendans :


Tous ces morts amenés dans ce champ, tous ces êtres
Réunis devant moi, c’étaient tous mes ancêtres,
Toute la successive et faible humanité
Qui m’a de couple en couple à mon tour enfanté...
Chaîne ample dont le bout se perd dans le mystère,
Qui m’a légué ma vie et mon âme et mon nom
Et dont je fus hier le suprême chaînon.


C’est de leur pensée à tous, c’est de tous leurs rêves, de tous leurs efforts qu’est faite la pensée de celui qui vit un jour sur cette terre où chacun est l’héritier de tous ceux qui, l’ont précédé. Ainsi, il leur doit à tous un peu de ce qu’il est, et sa piété remonte à l’infini ; tandis que lui-même se sent déjà responsable envers tous ceux dont l’âme devra, au lointain de l’avenir, quelque chose à son âme.

Le même thème se trouve développé, — par une de ces analogies où