Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les coutumes des habitans sont dépourvues de couleur locale, les rapports sociaux paraissent empreints de banalité, et l’esprit public accaparé par des questions d’ordre mesquin. C’est à peu près tout ce qu’on discerne pendant les premières semaines de résidence dans une grande ville australienne. Et cependant, ce qui manque le moins à l’Australie, — on s’en aperçoit plus tard, — c’est l’originalité.

J’ai passé dans ce pays les douze dernières années, coupées par un petit nombre de courtes absences. Les circonstances m’avaient placé dans des conditions excellentes pour l’observation, et j’avais non seulement le désir mais le devoir de m’y livrer. Malgré la monotonie d’une existence où les distractions sont trop uniformes pour satisfaire les besoins de l’esprit et du caractère français, j’ai pris un intérêt croissant au problème australien, le trouvant de jour en jour plus fertile en réflexions.

Cette petite nation, souveraine d’un grand territoire, s’attaquant avec une obstination souvent maladroite, mais inlassable, aux questions sociales qui troublent si gravement les vieux peuples, mériterait, par cela seul, une particulière estime. Dans des conversations avec les hommes politiques australiens, j’ai souvent discuté leurs audacieuses conceptions. Je les ai critiquées avec la liberté de langage qu’autorise, même de la part d’un étranger, la cordialité des rapports. J’en signalais les incohérences et les dangers. Cependant, je ne pouvais me défendre de reconnaître, dans la hardiesse de ces tentatives, la manifestation de l’instinct puissant d’une race dont l’énergie croît avec les résistances. Cet effort, sans cesse renouvelé, poursuit la découverte du régime qui doit un jour concilier les aspirations, les besoins et les intérêts du pays. La direction qu’il a prise ne paraît pas le conduire au résultat. Il l’atteindra cependant tôt ou tard, de manière ou d’autre. La persistance d’un peuple est la plus sûre garantie du succès de ses entreprises.

L’ambition de l’Australie ne se borne pas à organiser librement sa vie intérieure. Elle n’attend pas d’avoir surmonté les difficultés de l’heure actuelle pour regarder au loin. Elle voit déjà se dessiner, à l’extrême horizon, une forme vague, de profil incertain, comme ces traînées brumeuses dont le marin dit : « Est-ce la terre ou un nuage ? » Cette vision est celle du drapeau australien, au coin duquel l’Union Jack britannique se distingue encore faiblement, tandis que la Croix du Sud, l’emblème