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algébrique, avec des chiffres !... Faut-il s’étonner qu’on ait subi là plus qu’ailleurs l’éblouissement mathématique, l’ivresse de la mesure et du calcul ? L’appareil enregistreur enthousiasma les esprits positifs. La psychologie qui, hier, n’existait point, dépassait d’un seul coup les sciences mêmes de la vie et, d’emblée, s’égalait en rigueur à la physique mécanique...

Mais, si l’idée fut séduisante, combien en devaient être rapidement décevantes l’exécution et la pratique !... Sans doute la forme parfaite de la science est la forme mathématique ; il est même admissible que toutes les sciences doivent revêtir quelque jour cette forme parfaite. Qui ne voit pourtant qu’elles ne peuvent commencer par là, et la psychologie moins que toute autre ? La moindre faute de la psycho-physique serait donc d’avoir brûlé toutes les étapes d’un progrès à venir et peut-être séculaire.

Mais il y a plus, et je me demande si, de toutes les sciences, la psychologie n’est pas la seule qui, par définition, doive échapper à l’usage de toute mesure et de tout calcul.

Car enfin que voulez-vous mesurer ? Sur quoi voulez-vous calculer ? Je vois bien qu’à l’aide de vos appareils compliqués vous déterminez assez exactement l’excitation qui précède ma sensation. Mais ma sensation même, c’est ma conscience qui la mesure et qui prononce qu’une surface est plus ou moins éclairée. Une sensation produite en moi par une bougie n’est pas la même qu’une sensation produite par deux bougies. J’accuse cette différence dans mon langage et vous l’interprétez dans le vôtre en disant qu’il y a de l’une à l’autre sensation une différence d’intensité ? Vous entendez par là qu’une sensation de son et une sensation de lumière diffèrent pour moi par leur qualité, mais qu’une sensation de lumière moindre ne diffère d’une sensation de lumière plus vive que par le degré, non par la nature. En êtes-vous sûr ? Ne faudrait-il pas d’abord avoir défini du dedans, par la conscience, cette intensité dont vous supposez seulement la signification ? Au fond, les sensations qui me semblent d’une même espèce, une lumière et une lumière, ne se distinguent-elles pas pour ma conscience comme deux individus, comme un homme d’un autre homme, et pas seulement par leur taille ? Votre mesure ne saisit pas, ne saisira jamais en elles ce qu’elles ont de proprement psychologique, par opposition à cet excitant dont vous jouez si bien parce qu’il est physique, je veux dire ce qu’elles ont d’essentiel et de