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la direction de lun d’entre eux, le professeur Haupt, pour publier en même temps, à Londres, New-York, et Stuttgart, une version anglaise de la Bible, qu’ils ont intitulée la Bible polychrome, comme on disait jadis la Bible polyglotte[1]. Il s’agissait, ainsi que ce titre l’indique, de signaler d’abord au lecteur les différentes « couches » dont la superposition successive a fini par former, depuis la haute antiquité jusqu’en des temps qu’on estime assez voisins de nous, le texte unique et consacré de la Genèse, par exemple, ou de la Prophétie d’Isaïe. Cest la grande affaire de l’exégèse contemporaine, on le sait ; ou, du moins, c’est le départ en quelque sorte actuel de toute critique biblique. Remaniés, sinon refaits, retouchés, interpolés, on croit pouvoir aujourd’hui dire avec assurance l’âge, la nature et la profondeur des modifications que ces textes vénérés ont subies. Et le moyen qu’on a donc imaginé pour les rendre sensibles aux yeux a été tout simplement de les colorier par teintes plates, qui se divisent inégalement la page, et qu’on est préalablement convenu d’affecter, le bistre, je suppose, aux partier ; les plus anciennes du texte ; le rose ou le vert, à des parties plus modernes ; le gris à de plus récentes encore, et ainsi de suite. L’invention paraîtrat-elle peut-être singulière, dans la description un peu lourde que nous en donnons ? Nous nous bornerons à répondre du moins qu’en fait, il n’y a rien de plus simple, ni de plus clair, ni qui réalise mieux l’objet qu’on s’était proposé. Si l’on avait suivi cette disposition pour la reproduction des Essais, on y distinguerait tout de suite, sans hésitation, le texte de 1580 d’avec celui de 1588, et tous les deux d’avec les additions de 1595. J’ajoute que, pour bizarre qu’il eût semblé d’abord, l’exemple n’en eût pas été dangereux, n’y ayant guère, je pense, plus de trois textes de notre langue qu’on pût essayer dïmprimer de la sorte : ce sont ceux de Pascal, et de La Bruyère, après celui de Montaigne. Et si les bibliophiles se fussent récriés, on leur eût dit que les éditions de ce genre ne sont pas faites pour eux, — ni peut-être même pour les simples lecteurs : — elles s’adressent aux philologues, aux bibliographes, aux éditeurs, aux commentateurs et aux critiques de Montaigne.

C’est à ces derniers, tout particulièrement, que nous prendrons la liberté de recommander l’édition municipale des Essais,

  1. Holy Bible, polychrome edition, New-York, Londres et Stuttgart.