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un succès et à la durée de toutes les combinaisons européennes. Albert Sorel a admirablement montre comment les monarques coalisés contre la Révolution française étaient plus préoccupés des « jacobins de Pologne » et de l’avenir de la Turquie que de venger Louis XVI. Il serait facile de poursuivre, à travers tout le XIXe siècle, une démonstration du même genre. Il a fallu l’injure faite, par le traité de Francfort, à la France et au droit qu’ont les peuples de disposer d’eux-mêmes, pour faire, pendant quelque temps, prédominer dans les combinaisons européennes un élément nouveau : la nécessité pour l’Allemagne de garantir et de consacrer ses conquêtes. Encore aurons-nous l’occasion de montrer que c’est sous leur aspect oriental et en relation avec les événemens balkaniques qu’il convient d’étudier les origines, le développement et la décadence de ces conjonctions politiques, plus ou moins étroites et plus ou moins durables, qui se sont appelées ou s’appellent encore l’Alliance des trois empereurs, la Triple alliance et la Double alliance.

Vis-à-vis de l’Empire ottoman, les rôles que peuvent prendre les grands États européens ne sont pas en nombre indéfini ; ils se réduisent en définitive à deux : les uns ont intérêt à précipiter la ruine de l’Empire ottoman, pour s’en approprier les morceaux, les autres préfèrent maintenir la souveraineté du Sultan et l’intégrité de ses États dans l’espoir d’y exercer une influence prépondérante ou d’en exclure leurs rivaux ; mais, selon les fluctuations des intérêts et le hasard des circonstances, ce ne sont pas toujours les mêmes acteurs qui jouent le même personnage ; comme dans le duel d’Hamlet et de Laërte, les adversaires, dans la chaleur de la lutte, font l’échange de leurs armes sans interrompre le combat. C’est un chassé-croisé de ce genre dont nous voudrions précisément montrer les origines et les causes en suivant l’évolution de la question d’Orient dans ces trente dernières années. Nous prendrons pour point de départ la guerre de 1877 et le Congrès de Berlin qui marquent, dans les rapports de l’Empire ottoman avec les peuples qui l’habitent et avec les grandes puissances européennes, un instant critique et, pour ainsi dire, un point culminant. Nous verrons comment, à travers des crises successives, les conséquences de ces grands événemens se sont développées à l’encontre des prévisions des politiques qui en avaient réglé la figuration et machiné l’intrigue ; et peut-être trouverons-nous, chemin faisant,