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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/312

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la guerre de Crimée, une longue série, très instructive, de Livres Bleus, témoigne des efforts du cabinet de Londres pour faire entrer l’Arménie dans la clientèle de la Grande-Bretagne ; à chacun des actes ou à chacune des publications par lesquelles la France exerce ou consolide son protectorat sur les catholiques de Syrie et de Palestine, l’Angleterre répond par une démarche en faveur des Arméniens ; elle patronne en Arménie des missions protestantes ; elle y envoie des officiers, des voyageurs chargés de faire des enquêtes sur la situation du pays. Au traité de San Stefano, la Porte s’engageait « à réaliser sans plus de retard les améliorations et les réformes exigées par les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens et à garantir leur sécurité contre les Kurdes et les Circassiens. » Cette clause, d’où aurait pu sortir un droit d’intervention russe en Arménie, est une de celles qui alarmèrent le plus le gouvernement de Londres. Le traité du 4 juin 1878 renversa la situation à son profit : en échange de l’alliance pour la défense des territoires du Sultan en Asie, celui-ci « promet à l’Angleterre d’introduire les réformes nécessaires (à être arrêtées plus tard par les deux puissances) ayant trait à la bonne administration et à la protection des sujets chrétiens et autres de la Sublime Porte qui se trouvent sur les territoires en question... » Le traité de Berlin annule celui de San Stefano, mais celui du 4 juin reste en vigueur : l’occupation de Chypre en est le signe manifeste. En fait, malgré le texte de Berlin qui confie « aux puissances » le droit de surveiller l’application des réformes, « le règlement des questions arméniennes, constate Adolphe d’Avril, tend à devenir une affaire anglaise. »

En 1895 et 1896, — années de la crise arménienne, — l’alliance franco-russe est dans toute la ferveur de sa nouveauté. Elle modifie, en le consolidant, l’équilibre européen. La Russie sort de son recueillement, la France de son isolement, pour entrer dans une période d’action et d’expansion. La politique russe, bloquée dans les Balkans par le traité de Berlin, se tourne vers l’Extrême-Orient : l’ouverture prochaine du chemin de fer transsibérien préoccupe l’Angleterre. La France achève, avec méthode et continuité de vues, de constituer son empire colonial ; tranquille sur ses frontières européennes, elle prépare la conquête de Madagascar, elle opère la réunion de ses possessions africaines, elle résout, sans heurts et sans violences, mais sans