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branle. Ces résultats que, malgré les difficultés particulièrement délicates de sa situation, — extérieure et intérieure, — la France avait obtenus, elle les devait à la formule « intégrité de l’Empire ottoman, » qu’elle avait résolument adoptée, non comme un expédient passager, mais comme l’une des assises fondamentales de sa politique traditionnelle adaptée à ses besoins et à ses intérêts présens. Une Turquie forte, capable de mettre en ligne une armée solide, pouvait devenir, dans certaines éventualités que l’avenir semblait préparer, un facteur important dans la politique générale. La raison d’être ultime de la politique franco-russe, dans la crise de 1895-1896, c’est en Égypte qu’il faut aller la chercher. L’Angleterre avait tout fait pour rompre le bon accord de la France et de la Russie ; elle avait échoué, et il se trouvait que c’était au contraire cette union qui avait donné le ton au concert européen et réglé les difficultés orientales. Mais le résultat auquel l’Angleterre n’avait pu arriver par son action extérieure, l’opposition, en France même, allait l’obtenir partiellement en menant, contre le cabinet Méline-Hanotaux, la plus violente campagne, et en affectant de rendre la politique franco-russe responsable de massacres que d’autres avaient provoqués, qu’elle n’avait pas qualité pour punir, qu’elle a finalement arrêtés, et qu’elle a essayé d’empêcher dans toute la mesure où elle le pouvait, sans sacrifier sa propre sécurité et sans jeter l’Europe dans les complications redoutables d’une crise orientale. Cette campagne ne servit pas la cause des Arméniens, mais elle réussit à ameuter une partie de l’opinion française contre une politique qui faisait notre force dans le monde, mais qui gênait la liberté de mouvemens de l’Angleterre. Ainsi, indirectement, la politique britannique avait en partie réussi : elle avait émoussé, dans une certaine mesure, la puissance d’action de l’Alliance franco-russe, en aidant, en France, au déchaînement des passions politiques et à l’avènement du parti radical.

L’Allemagne était, cette fois encore, cette fois surtout, la principale bénéficiaire de la crise. Depuis le Congrès de Berlin, elle jouissait à Constantinople d’une influence d’autant plus forte que ses armées étaient plus éloignées et ses flottes moins redoutables. Dans la crise arménienne son attitude fut nettement favorable à la Turquie ; elle s’opposa, ou ne donna qu’une adhésion platonique à toutes les mesures proposées, non seulement