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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/343

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vu qu’il est tissé des plus puissantes affections humaines. Que pourrait-il contre l’amour des sens ou contre les calculs de l’intérêt, s’il n’était pas à la fois la tendresse conjugale, la piété filiale et la pitié ? Mais il est tout cela, et s’il arrive à triompher si complètement dans une âme, c’est qu’il est déjà par lui-même cette âme tout entière dans ce qu’elle a de plus profond.

Et cet amour si fort est aussi le seul qui dure, le seul où le mystique puisse mettre tout son cœur sans avoir à se dire que la mort est là qui attend. Jésus n’a-t-il pas dit à la Samaritaine : « Quiconque boit cette eau aura encore soif, mais celui qui boit de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source qui jaillira pour la vie éternelle ? »

C’est aussi le seul qui le console et le fortifie contre les angoisses de la tentation et du doute. Dans l’amour de Dieu, lorsqu’il envahit l’âme, plus de ces hésitations, de ces inquiétudes qui déchiraient le mystique, mais la certitude d’être aimé, d’être défendu et d’être sauvé. Un directeur, un confesseur peuvent pour un temps lever certains doutes, calmer certaines inquiétudes par leurs conseils ou leurs affirmations ; ils ne donnent jamais cette assurance que le mystique tire de son commerce avec Dieu. Celui-ci qui s’est entendu dire dans l’extase : « Je suis avec toi, » peut revenir vers la vie avec le cœur plus tranquille ; les oscillations douloureuses de son âme sont pour longtemps arrêtées.

Enfin cet amour est le seul qui satisfasse ce besoin de moralité supérieure qui est au fond du mysticisme chrétien. Aimer Dieu, c’est haïr l’égoïsme, le mensonge, toutes les passions personnelles ou basses, et c’est aimer par-dessus tout l’austérité, la pureté, la bonté ; c’est se soustraire à l’éternel conflit de l’ange et de la bête par tous les moyens physiques et moraux dont l’âme dispose, et par la grande passion d’amour qui lui fait retrouver les hommes en Dieu ; cette alternance continue des bons et des mauvais désirs, dont le mystique souffrait à l’excès, ne se produira plus lorsque Dieu le dominera tout à fait ; ici encore c’est la paix.

Et si la vie nerveuse oscille encore, si le mystique a parfois des momens d’exaltation où il sent son Dieu près de lui, et des momens de détresse où il le sent s’éloigner, c’est beaucoup pour triompher de ces défaillances des nerfs que d’avoir la certitude