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espèces autant de barrières infranchissables. Pour ce qui est de l’anarchie en littérature, ce n’est le plus souvent qu’un mot dont on se sert pour dissimuler ou pour avouer l’ignorance où l’on est du sens vers lequel tendent des courans encore mal définis. Mais ces courans n’en existent pas moins. S’il en fallait croire M. Capus, cette anarchie serait la conséquence d’un immense travail de renouvellement qui irait à introduire au théâtre des méthodes insoupçonnées, inouïes et totalement différentes de celles qu’on y avait employées jusqu’ici. « Elle est la conséquence et la somme des efforts prodigieux qu’on fait de toutes parts sur la scène, efforts qui arriveront bientôt sans doute à renouveler la construction, la marche, le développement des œuvres, à transformer le jeu des artistes et jusqu’aux conditions mécaniques du théâtre. » Peut-être le résultat, d’ailleurs fort appréciable, de ces « efforts prodigieux, » n’a-t-il rien qui confonde l’imagination ; et peut-être est-il moins difficile qu’on ne voudrait nous le faire croire de se débrouiller à travers la prétendue anarchie du théâtre contemporain, et de compter les nouveautés qui, le plus récemment, y ont fait leur apparition.

Chaque époque littéraire dépend, beaucoup plus qu’on ne se l’imagine en général, de celle qui l’a précédée, alors même qu’elle croit la combattre. Il s’est fait, voilà quelque vingt ans, une grande levée de boucliers contre les modes théâtrales qui s’étaient installées chez nous vers le milieu du XIXe siècle. Il fallait saccager l’art dramatique, briser les moules, rejeter des procédés devenus décidément insupportables. Dumas et Augier, Barrière et Sardou, Pailleron et Gondinet, Meilhac et Halévy étaient ceux auxquels on était prié de ne pas ressembler. Or on peut faire aujourd’hui la revue des genres en possession de la scène : ils sont sensiblement les mêmes que ceux du théâtre second-Empire Le genre réputé le plus distingué, — la grande comédie, si l’on ose l’appeler ainsi, — est toujours la comédie dramatique, qui commence en comédie et finit en drame, fait succéder aux tableaux de mœurs les scènes de passion, développe l’idée ingénieusement exprimée dans le couplet par le raisonneur et, finalement, récompense le personnage sympathique. Chaque fois qu’un auteur, signalé par ses succès sur de moindres scènes, aborde la Comédie-Française, il refait, dans la mesure de ses forces, le Demi-Monde, ou les Effrontés, ou Cabotins. On écrit toujours des pièces à thèse, et on monte toujours des opérettes. De Dumas fils à Meilhac, les maîtres du théâtre d’hier reconnaîtraient dans les écrivains d’aujourd’hui leurs dignes continuateurs.