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L’Église s’appuie sur les encycliques et l’État sur la loi de séparation. La loi, assurément, donne une base légale plus solide à toutes les hypothèses qu’on peut dès maintenant former et aux solutions qu’on peut essayer d’y apporter : cependant, que d’incertitudes encore et que d’obscurités ! Du côté de l’Église, l’incertitude et l’obscurité restent grandes. La première réunion des évêques avait fait une ouverture par laquelle un peu de lumière avait pénétré : l’ouverture a été brusquement fermée, et la nuit est devenue plus noire. Du côté de l’État, c’est tantôt un optimisme de commande que rien ne justifie, tantôt des menaces, dont quelques-unes au moins peuvent être suivies d’effet et le seront certainement. De là l’anxiété que tout le monde n’avoue pas, mais que tout le monde éprouve, du moins parmi ceux qui observent, réfléchissent et prévoient. Ils ne peuvent ressentir qu’une infinie tristesse, en songeant à tant de bonnes volontés qui se découragent et dont quelques-unes risquent de s’égarer. Il est encore temps, mais il n’est que temps de prendre un parti. Ce n’en est pas un de ne rien faire, ou, si c’en est un, c’est le pire de tous.


Les nouvelles de Russie continuent de présenter sous un jour très sombre la situation de ce malheureux pays. Les assassinats et les désordres se renouvellent partout, et, quelle que soit l’énergie du gouvernement, on ne voit pas comment il parviendra à refréner l’audace de révolutionnaires qui, ne craignant rien, ne reculent devant rien. Dans le programme politique qu’il vient de publier et dont nous aurons à parler, M. Stolypine dit en termes très nobles : « On peut tuer telle ou telle personne, mais il est impossible de tuer l’idée dont le gouvernement s’est inspiré. » Malheureusement, les révolutionnaires aussi tiennent le même langage en parlant d’eux-mêmes, et ils ne se contentent pas de parler, ils agissent. S’ils ont le plus profond mépris pour la vie des autres, ils n’en ont pas un moindre pour la leur. Ils en ont fait d’avance le sacrifice ; ils la jettent en défi au gouvernement et à la société ; et, soit qu’ils périssent dans l’exécution de leurs attentats, soit qu’ils meurent fusillés ou pendus, ils vont à la mort avec une parfaite insouciance. C’est là une maladie particulière qui s’est emparée de presque toute une génération humaine et qui passera sans doute avec elle : mais, en attendant, que de crimes n’avons-nous pas déjà et n’aurons-nous pas encore à déplorer !

L’attentat contre M. Stolypine a été plus retentissant que les autres : il n’en diffère, toutefois, que par le nombre des victimes et par