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laquelle l’Etat, en 1837, impose à l’université d’Oxford un professeur incroyant, n’est si douloureuse au cœur de Newman que parce que l’habitude qu’il avait prise, depuis 1836, de lire le Bréviaire romain, rendait sa foi plus délicate encore, et plus susceptible sa piété. La condamnation portée contre lui à l’occasion du tract 90 ne fortifie ses doutes au sujet de l’anglicanisme que parce qu’en 1839, au cours de ses études sur les Pères, il avait constaté, non sans un effort de conscience, que la situation de l’anglicanisme à l’endroit de l’autorité romaine était aussi critiquable qu’autrefois celle du monophysisme. La suspension qui interrompit les sermons de Pusey frappa Newman d’un coup d’autant plus décisif, que, replié sur lui-même dans la retraite de Littlemore, il cherchait passionnément où Dieu voulait qu’il aboutît, et demandait à Dieu de rendre enfin visibles ses fins invisibles. Observez enfin par quelles réflexions suprêmes ce martyr de l’expectative divine se raccrochait à l’Eglise anglicane : les méditations à la suite desquelles il marque un instant le pas ne sont ni moins graves ni moins déchirantes que celles qui lui donnent un élan. « Ne faisait-on pas son salut dans Samarie ? se demande-t-il un jour. Le sujet d’Israël n’était pas tenu de quitter Samarie pour Jérusalem. » Un autre jour, il s’interrogeait sur les facilités de perfectionnement que l’anglicanisme offrait aux âmes : les avait-il toutes mises à l’épreuve ? en avait-il usé, profité jusqu’à épuisement ? et sinon, pourquoi quitter l’anglicanisme ? Il fut, deux ans durant, « sur un lit de mort par rapport à l’Eglise anglicane ; » un jour survint, où il pensa que c’était peut-être un péché mortel de n’être pas encore romain ; de ce jour, Newman appartint à Rome. « Ah ! Rome, si tu n’étais pas Rome ! » avait-il écrit en 1832. Rome était toujours Rome, mais Newman devenait romain.

Alors, parmi les anglicans, on vit les uns, « tractariens » de l’avant-veille ou de la veille, conclure à la nécessité pour l’Eglise anglicane de s’assimiler une forte dose de catholicisme romain, de peur que les âmes qui avaient les mêmes besoins que Newman ne s’éloignassent d’elle à leur tour ; et l’on entendit les autres, joséphistes d’outre-Manche ou théologiens « latitudinaristes, » acclamer d’un cri de triomphe le désastre de leur Eglise et proclamer que le mouvement « tractarien » devait logiquement aboutir à la trahison, et que depuis longtemps ils l’avaient prévu. Et les uns et les autres redoublaient de zèle, les