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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/536

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avait institué de nombreuses pratiques romaines, causait à Pusey la surprise de faire acte d’obédience à l’Église de Rome, et le dialogue reprenait entre l’anglo-romain qu’était Pusey et les protestans de l’anglicanisme. « Voilà le résultat de vos persécutions contre les tractariens, » disait l’un. — « Voilà, bien plutôt, lui répliquaient les autres, le résultat de vos concessions au papisme. »

Chaque jour le duel devenait plus âpre. La politique religieuse, de l’Etat trouvait, dans les sphères d’Eglise, des avocats ardens : Stanley, Jowett, tous deux professeurs à Oxford. Sur le terrain même où le mouvement « tractarien » s’était développé, lord Palmerston avait installé ces deux personnages, hommes de science plutôt qu’hommes de foi, imbus des conclusions de la critique allemande, ennemis élégans et subtils de l’orthodoxie traditionnelle. « La suprématie de la couronne, disait Stanley, est pour l’Eglise d’Angleterre une rare bénédiction de Dieu. » — « Je crois réellement, reprenait Jowett, que si la religion peut être sauvée, c’est par les hommes d’Etat, non par le clergé[1]. »

Si en effet l’Eglise d’Angleterre, ainsi que l’expliquait lord Aberdeen, était en réalité « composée de deux Eglises qui n’étaient maintenues ensemble que par des forces extérieures, » il convenait que l’Etat fournît le cadre commode à l’abri duquel l’incroyance cléricale pouvait continuer d’occuper des chaires en affrontant les susceptibilités dogmatiques de l’épiscopat. Des suffrages aussi distingués que celui d’un Stanley, qui en 1862 escortait en Palestine le prince de Galles, ajoutaient une force singulière aux prétentions de l’Etat. Mais il résultait, de ces suffrages mêmes, que l’autorité de l’Etat, non contente de mettre entrave aux progrès de la piété dans l’Eglise anglicane, ouvrait cette Eglise, toute grande, à des théories antidogmatiques que l’épiscopat jugeait néfastes.

  1. « Fait digne de remarque, écrit M. Thureau-Dangin, des penseurs, étrangers au fond à toute croyance religieuse, sont, par des raisons analogues à celles des anglicans du Broard Church, partisans décidés de l’Église d’État. M. Lecky, par exemple, voit, dans cette organisation composite et compréhensive de l’Église établie d’Angleterre, une facilité pour une plus grande latitude d’opinion, un affaiblissement de la foi dans la certitude et dans la nécessité du dogme, une garantie contre la tyrannie sacerdotale et la démagogie cléricale. Loin donc d’aspirer, comme les libéraux du continent, à la séparation de l’Église et de l’État, il prétend conserver ce qu’il appelle une machine aussi bienfaisante. (Democracy and Liberty, t. I, p. 432 et suiv. ; t. II, p. 14.) »