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exprimera forcément des sentimens ignorés d’Horace et de Virgile. L’imitation ne pourra pas être parfaite ; et plus elle cherchera à l’être, plus l’involontaire originalité qui viendra l’altérer sera significative pour l’historien psychologue.

Ce n’est pas seulement l’influence des époques et des milieux historiques que cette étude de la littérature gallo-latine permet de mesurer, c’est aussi celle des races et des pays. Car ne s’abuse-t-on pas lorsque l’on parle de la littérature romaine comme si elle émanait d’un seul et même peuple, au même titre que celle des Grecs par exemple ou que celle des Hébreux ? On en a souvent fait ressortir le caractère national ; on a même écrit sur le « génie latin » un bon livre, un peu systématique peut-être, mais suggestif et riche d’idées, dans lequel on s’efforce d’expliquer par les tendances fondamentales de l’âme romaine, avant tout utilitaires, politiques et sociales, presque toutes les œuvres latines[1]. Je n’y contredis pas, et je suis convaincu que Rome a marqué de sa forte empreinte tous ceux qui ont subi sa domination, parlé sa langue, et participé à sa vie intellectuelle. Seulement il me paraît piquant d’observer que les écrivains en qui s’est manifesté ce « génie latin » ne sont pas eux-mêmes des Latins. de Rome même et du pays qui l’entoure, il est sorti bien peu d’auteurs, qui même sont à peine des « auteurs : » pour un Caton, un César, un Varron, un Salluste, un Lucrèce, l’histoire, l’éloquence ou la poésie ne sont guère que des instrumens de propagande, des moyens d’action politique ou philosophique. Ce sont les pays ultérieurement soumis, c’est l’ancienne Etrurie ou la Grande-Grèce, ce sont les deux Gaules, l’Espagne ou l’Afrique, qui ont fourni presque tout le personnel de la littérature latine. Il n’est pas possible que ce fait n’ait pas eu de conséquences. Si dans l’intérieur d’un seul peuple, uni comme l’est le nôtre, il se manifeste cependant des différences régionales ; si des Tourangeaux ou Angevins comme Ronsard et Du Bellay, des Normands comme Malherbe et Corneille, des Parisiens comme Boileau et Molière, des Bretons comme Chateaubriand et Renan, tous Français certes, sont plus spécialement unis par ces mystérieuses affinités qui forment l’air de famille, à plus forte raison les influences locales doivent-elles apparaître quand il s’agit, non plus de provinces, mais de pays aussi

  1. . G. Michaut, le Génie latin, Paris, 1900.