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africaine, gauloise, mais simplement des littératures voisines les unes des autres, qui commencent plus ou moins tôt, mais qui se continuent simultanément et parallèlement. Au fond, de cette question qu’ils ont les premiers aperçue, Ampère et Thierry ont plutôt réussi à montrer l’importance qu’ils ne l’ont vraiment traitée. Et comme, d’autre part, le grand ouvrage d’Ebert[1], admirablement documenté, plein de choses et d’idées, n’est pas spécialement consacré aux écrivains gaulois, mais embrasse tous ceux de l’Occident, on peut dire que nous n’avons rien de définitif sur notre plus ancienne littérature. Pour ma part, bien au-dessus des abondantes dissertations d’Ampère et de la théorie artificielle de Thierry, je mettrais, malgré leur brièveté, quelques pages de M. Gaston Boissier sur Sulpice Sévère et Paulin de Nole[2], pages charmantes, agiles et suggestives comme toujours, où sont merveilleusement saisis les aspects les plus frappans de l’âme et de la vie gallo-romaine.

Si quelqu’un voulait aujourd’hui reprendre sur de nouvelles bases l’œuvre d’Ampère, son premier soin devrait être de bien délimiter son point de vue, de ne pas embrouiller les questions en traitant ensemble celles qui sont distinctes, quoique limitrophes, et de ne pas gâter, en voulant l’élargir, un sujet déjà bien assez ample. Et d’abord, il faudrait distinguer ce qui touche à la littérature proprement dite de ce qui concerne la langue. Qu’il y ait une littérature latine de Gaule et qu’il y ait une latinité gauloise, ce sont deux problèmes très différens, auxquels on peut fort bien répondre d’une façon opposée. Celui de la langue a été si souvent discuté et si diversement résolu qu’il n’est peut-être pas inutile d’en dire quelques mots. A première vue, il est très séduisant de supposer, comme on l’a fait plus d’une fois, que le latin s’est différencié suivant les provinces où il s’est propagé. Les peuples qui l’ont employé n’étaient les mêmes ni au physique ni au moral : le mécanisme propre de leur gosier a dû modifier les sons, celui de leur cerveau a dû modifier les tours de syntaxe. Chacun a ainsi altéré le latin dans un sens particulier et déterminé. Et cette hypothèse n’est pas seulement conforme à la nature des choses : elle est très commode pour expliquer logiquement la naissance des langues

  1. Ebert, Histoire générale de la littérature du moyen âge en Occident, trad. Aymeric et Condamin, t. I.
  2. G. Boissier, la Fin du paganisme, liv. IV, ch. II.