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habituelles aux inscriptions de la région de l’Atlas et aux ouvrages d’Apulée, de Tertullien et d’Arnobe : l’amour des mots abstraits, la confusion des cas, des modes et des temps, le besoin de renforcer le sens des mots par des superlatifs hyperboliques ou par des pléonasmes formant surcharge, et autres habitudes, qui, d’après lui, seraient des traces de l’origine sémitique des populations de l’Afrique du Nord. Mais M. Monceaux se trompe, ce me semble, non pour avoir mal observé les textes épigraphiques de l’Afrique, mais pour les avoir trop exclusivement observés. Les façons de parler qu’il signale sont fréquentes, il est vrai, dans les inscriptions de la Numidie et de la Mauritanie : mais elles ne sont pas rares non plus dans celles de l’Espagne ou de la Narbonnaise, voire dans celles de l’Italie. Les dissemblances régionales sont en réalité si subtiles, si insaisissables, que l’auteur d’un excellent livre sur la langue des inscriptions gallo-romaines, M. Pirson, désespère de les déterminer avec un tant soit peu de certitude[1]. « On peut se demander, dit-il, si les documens latins que nous possédons nous permettront jamais d’approfondir cette question. On peut en douter lorsqu’on les compare entre eux ; on constate qu’une foule de particularités, qu’on serait tout d’abord tenté de considérer comme spéciales à une province, se retrouvent dans les textes provenant d’autres régions. D’autre part, les traits qui restent isolés après la comparaison trahissent des altérations d’un caractère si général qu’il serait très hasardeux d’y reconnaître des différences locales. » Je crois en effet qu’il faut dire adieu à cette chimère des latinités provinciales. Le latin s’altère dans tous les pays sous l’Empire, il s’altère d’autant plus à mesure qu’on s’éloigne de l’époque classique, et surtout à mesure que ceux qui le parlent sont plus dépourvus de culture intellectuelle, mais il s’altère partout de la même façon. Les seules différences qu’on puisse apercevoir tiennent à la chronologie ou à la hiérarchie sociale, non à la géographie.

  1. J. Pirson, la Langue des inscriptions latines de la Gaule, p. 323. Au cours de son étude, M. Pirson multiplie les remarques de ce genre : il montre que la latinité gauloise n’est pas seule à substituer un e long à l’i long (p. 11). ou un i à un e atone (p. 32), ni à employer le génitif illorum au lieu du possessif suus (p. 205) ; — qu’elle ne compte pas moins de mots dépourvus de s final ou de t final que celles des autres pays (p. 103) ; — qu’elle redouble les consonnes aussi bien que celle de l’Italie (p. 83) ; — qu’elle emploie des formes de noms propres en osus et des pléonasmes laudatifs aussi bien que celle d’Afrique (p. 221 et 307), etc.