Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvenirs, confondus et transfigurés, ont formé l’épopée hagiographique de notre pays ; ce n’est que sous Constance et Constantin que les classes nobles, riches et instruites ont été à leur tour entamées après les humbles ouvriers des grandes villes ; ce n’est que sous Gratien et Théodose que les campagnes ont été enfin conquises, grâce au zèle robuste et joyeux du bon apôtre Martin. — On peut être surpris que le christianisme se soit si tardivement implanté dans la Gaule, où il devait avoir par la suite une si brillante floraison. Il est probablement apparu aux Gaulois comme une doctrine trop originale et trop indépendante, en opposition avec la société, en lutte avec le gouvernement, en rupture avec toutes les habitudes traditionnelles : il a dû les effaroucher. Notre peuple, malgré son apparente humeur frondeuse, a toujours été et est encore très conservateur, voire même : routinier. Les nouveautés peuvent bien l’attirer un moment : au fond il s’en méfie, surtout quand elles n’ont pas l’estampille de l’autorité officielle. C’est sans doute ce qui fait que les progrès du christianisme en Gaule ne se sont accélérés que du jour où il a été toléré par Constance, puis favorisé par Constantin et ses successeurs. Auparavant, pour devenir chrétiens en grand nombre les Gaulois étaient, je crois, trop dociles. — J’ajoute qu’ils étaient peut-être trop tranquilles. Ni leur esprit ni leur cœur n’avaient soif de la foi nouvelle. Leur intelligence vive et claire, mais un peu superficielle, ne sentait pas le besoin de s’enfoncer dans les ténèbres de la discussion théologique ; et leur âme gaie et bonne, mais un peu frivole, ne réclamait pas ardemment la consolation des mystiques tendresses. Le culte familier des petites divinités locales, dieux des sources, des bois ou des montagnes, Nymphes ou Mères, Génies ou Tutelles, ou bien encore le culte officiel de Rome et d’Auguste, suffisaient à ces intelligences paisibles. Ils ne se précipitaient point avec passion au-devant du christianisme, pas plus d’ailleurs qu’ils ne l’attaquaient avec acharnement : nulle part, semble-t-il, on ne voit un Gaulois faire ce qu’ont fait bien des Africains, Tertullien, Arnobe entre autres, c’est-à-dire déclamer violemment contre la religion nouvelle, puis tout d’un coup l’embrasser et la défendre avec autant de fougue qu’il l’avait combattue. — Mais tout cela change à partir du IVe siècle. Plus librement prêché, le christianisme est plus connu, plus fréquemment victorieux, et ce qui nous intéresse ici, il se traduit en œuvres importantes.