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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/60

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qu’auparavant. Il mangera, il consommera son salaire. Il n’y aura rien d’amélioré dans sa condition. Il faudra renoncer au placement à l’étranger des produits renchéris. La consommation intérieure restera seule à la fabrication française.

Nous prêtons, par le silence sur de pareils résultats, une force incalculable à la désorganisation sociale, qu’on appelle la question sociale.

On ne veut plus de privilèges, d’aucun genre, ni d’aucune espèce. Mais alors il faut supprimer les douanes, qui créent des privilèges aux industries protégées. Que devient alors le commerce français ? Il serait frappé au cœur par cette mesure, car, si vous renchérissez vos produits, l’industrie étrangère inondera la France de ses produits à meilleur marché. Si vous protégez tous les produits renchéris, ce sera une déclaration de guerre pacifique aux industries étrangères, qui vous répondront par des prohibitions pareilles, et le commerce extérieur périt !

Pendant dix-sept ans, Louis-Philippe a constamment oublié, sacrifié, les intérêts moraux, politiques, de la France à l’extérieur, au profit du commerce et de la prospérité de la France. Il avait amené ainsi la prospérité matérielle à un degré inouï. L’ensemble du commerce intérieur et extérieur dépassait deux milliards. Tout cela, dans l’intérêt de sa dynastie, et il achetait cette paix à tout prix en abandonnant l’honneur du pays dans toutes les questions extérieures.

En 1840, j’imprimais ceci[1] : que s’appuyer sur les intérêts, c’était s’appuyer sur rien ; que le commerce, la bourgeoisie repue, était la plus trompeuse de toutes les forces, et c’est la Garde Nationale qui a, en effet, renversé Louis-Philippe, car, en France, l’honneur est plus cher que l’argent, et si vous trahissez trop visiblement l’honneur d’une nation elle se révolte, comme le plus lâche finit par avoir du cœur, quand il reçoit un soufflet devant trop de monde.

On va loin avec des finesses de maquignon normand, mais on ne peut pas aller vingt ans ainsi dans un pays comme la France, et l’on tombe la dix-huitième année.

Cette prospérité commerciale de deux milliards reviendra-t-elle ? Il ne faut pas y compter. De longtemps on ne reverra ce chiffre.

  1. Voyez dans le troisième et dernier numéro de la Revue Parisienne (fondée par Balzac), qui parut le 25 septembre 1840, l’article intitulé : Sur les Ouvriers.