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En dernière analyse, il semble bien que la mise en scène ou le spectacle soit, dans notre grand opéra national, l’équivalent du dialogue dans notre opéra-comique, cet autre genre également français. Les deux élémens jouent le même rôle et possèdent le même avantage : celui de nous distraire de la musique et de nous en délasser.


III

Autant que des accessoires, ou des ornemens, ou des dehors, le grand opéra français est fait de l’action et du mouvement scénique. Il lui faut le théâtre, et le théâtre tout entier. On ne saurait l’en détacher sans un péril, sans un dommage même, que cette séparation ne cause point à la musique dramatique de l’Allemagne ou de l’Italie.

Prenez au hasard et comme à toutes les extrémités du drame musical : que ce soit Orphée ou Don Juan, la Flûte enchantée ou le Freischütz, Fidelio ou la Walkyrie. Parmi tant d’œuvres de théâtre, il n’en est pas une, qui du théâtre pourtant ne sache se passer. Elle pourra perdre quelque chose à l’épreuve du concert, mais elle n’y succombera pas. Je doute au contraire que Robert le Diable et la Juive, que les Huguenots et le Prophète y résistent. La lecture enfin, la lecture surtout, avantage ou flatte encore moins ce répertoire, et ce sont des « pièces » admirables, mais non de beaux livres, que les chefs-d’œuvre même de Meyerbeer.

Le théâtre est si nécessaire à cette musique, il est tellement de sa nature et de son essence, elle se confond tellement avec lui, que, pour peu qu’il lui manque, elle manque elle-même. Le répertoire du grand opéra français ne compte guère, plus de deux ouvertures : celle de la Muette et celle de Guillaume Tell. Quel opéra d’Italie au contraire, fût-ce, le moindre, ne commence par une sinfonia ? Parlerons-nous des ouvertures allemandes ? De ces vastes poèmes sonores, qu’ils soient de Mozart, de Beethoven ou de Weber, de Mendelssohn ou de Wagner, dirons-nous la multitude, l’importance et la beauté ? Beethoven n’a pas donné moins de quatre préfaces instrumentales à son unique Fidelio. Il semble que la musique d’outre-Rhin, avant de se mêler au théâtre et de s’y soumettre, affirme et rappelle ses droits personnels et supérieurs, quelle use magnifiquement de sa puissance propre et s’enivre en quelque façon de sa liberté. Il peut