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a préféré la légende à l’histoire. Il s’en est clairement expliqué dans la lettre fameuse (à Frédéric Villot) qui sert de préface à ses Quatre poèmes d’opera. « Le caractère légendaire du sujet (il ne s’agit encore ici que du Vaisseau Fantôme) assure dans l’exécution… un avantage du plus haut prix : car, d’une part, la simplicité de l’action, sa marche, dont l’œil embrasse aisément toute la suite, permet de ne pas s’arrêter du tout à l’explication des incidens extérieurs, et elle permet, d’autre part, de consacrer la plus grande partie du poème à développer les motifs intérieurs de l’action, parce que ces motifs éveillent, au fond de notre cœur, des échos sympathiques.

« … Vous trouverez, je crois, déjà beaucoup plus de force dans le développement de l’action de Tannhäuser par des motifs intérieurs. La catastrophe finale naît ici, sans le moindre effort, d’une lutte lyrique et poétique où nulle autre puissance que celle des dispositions morales les plus secrètes n’amène le dénouement, de sorte que la forme même de ce dénouement relève d’un élément purement lyrique.

« L’intérêt de Lohengrin repose tout entier sur une péripétie qui s’accomplit dans le cœur d’Eisa et qui touche à" tous les mystères de l’âme. La durée d’un charme qui répand une félicité merveilleuse et remplit tout de la sécurité la plus entière, dépend d’une seule condition, c’est que jamais ne soit proférée cette question : « D’où viens-tu ? » Mais une profonde, une implacable détresse arrache violemment d’un cœur de femme cette question comme un cri, et le charme a disparu. »

De Tristan enfin, le plus intérieur assurément et le plus « purement humain, » — pour employer son langage, — de tous ses drames lyriques, voici comment Wagner a parlé : « Tous mes doutes s’étaient dissipés lorsque je me mis à mon Tristan. Je me plongeai ici avec une entière confiance dans les profondeurs de l’âme, de ses mystères, et de ce centre intime du monde, je vis s’épanouir sa forme extérieure. » Ce centre, ce centre intime, sans même recourir à la légende, en traitant des sujets quelconques et par le seul instinct de leur génie, plus simple que celui de Wagner, un Mozart, un Beethoven, les plus grands entre les musiciens, l’avaient déjà possédé et s’y étaient en quelque sorte établis. Ceux-là, de même qu’ils sont les maîtres du dedans, ou plutôt parce qu’ils le sont, le sont aussi de tout l’univers. En leur musique, une seule âme chante pour toutes