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l’esprit d’utopie, ou ayant plus grands yeux que grand ventre, comptent sur leurs champs comme Perrette sur son pot au lait, et jonglent avec leur patrimoine comme certains financiers avec les milliards du budget de l’Etat. Il proprietario si mangia il podere. Proscrire cependant le crédit agricole parce qu’il présente ces inconvéniens, ce serait raisonner à la façon de ceux qui condamnent l’instruction, les chemins de fer, l’automobile, l’électricité, parce qu’ils font des victimes.

Ce n’est pas que le problème n’ait préoccupé en France maint esprit ; au XVIIIe siècle, on publiait déjà des projets de crédit agricole, et, en 1840, le ministre de l’Agriculture chargeait M. Royer d’étudier les sociétés de crédit agricole en Allemagne. Mais tandis que nous cherchions vainement la formule libératrice, d’autres pays avaient réussi : leur exemple démontra qu’il n’y a rien ici de chimérique, et qu’on ne s’acharne pas à la découverte de la pierre philosophale. En Allemagne, les premières sociétés de crédit ont plus d’un siècle d’existence : les Landschaften provinciales (corporations de propriétaires) émettaient des obligations foncières au moyen desquelles on faisait des prêts hypothécaires entre associés. Voilà l’origine du crédit foncier. Aujourd’hui elles consentent des prêts remboursables en cinquante-cinq ans, à 4 et demi pour 100, intérêts et amortissement compris ; ne touchant aucun dividende, elles n’exigent du débiteur que les frais d’administration, à peine un quart pour 100. Beaucoup prélèvent sur leur réserve la somme nécessaire pour créer, au profit de leurs membres, un crédit agricole mutuel mobilier. Ainsi fit, il y a vingt-sept ans, la Landschaft de Brandebourg, qui avança 500 000 marks pour accorder à ses adhérens des prêts sans hypothèque. Ailleurs, ce sont les États provinciaux qui fournissent aux sociétés d’agriculteurs les fonds nécessaires : la caisse agricole de Lausitz a pris naissance de la sorte au moyen d’une avance de 4 500 000 marks.

Les associations Schultze-Delitsch (Worschuss-vereine) ou sociétés d’avance sont surtout urbaines, comprennent assez souvent plusieurs communes, possèdent un capital. Quand on voit ce qu’il a fallu de dévouement, d’intelligence, de travail doux et patient à des hommes comme Schultze et Raiffeisen pour réussir et mener à bien leur apostolat, on s’étonne, — et l’on ne peut s’empêcher d’admirer, d’avoir confiance dans les destinées de l’humanité qui, dans tous les ordres, voit sans cesse surgir