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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/699

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peu près exactement ce que l’on a nommé « le siècle de Louis XIV, » — nos grands écrivains ont paru peu curieux des choses étrangères : Racine ou Bossuet se sont assurément peu inspirés des exemples de l’Espagne ou de l’Italie. Et, pour en faire en passant la remarque, ceci donne peut-être à songer, quand on voit que la plus belle époque de l’histoire de notre littérature en est donc aussi la plus indépendante, ou comme qui dirait la plus émancipée de toute influence étrangère. Faut-il voir là plus qu’un hasard ou qu’une coïncidence ? Mais tout ce que je veux constater, c’est que cette indifférence n’a pas duré longtemps, et, — pour ne rien dire d’un nouveau retour d’influence espagnole (1700-1710), auquel nous devons le Diable boiteux et Gil Blas, — d’autres influences vont maintenant se faire sentir, qui sont l’influence anglaise, et bientôt, vers la fin du siècle qui commence, l’influence allemande.

Admettons là-dessus que Voltaire n’ait rien compris à Shakspeare ! La vérité n’en est pas moins que le peu de nouveauté qu’il y a dans son théâtre lui vient de Shakspeare, en droiture ; et quel ne sera pas, — quand on voudra, si je puis ainsi dire, la « chiffrer, » — le total de sa dette envers Pope, Addison, Swift, ou de moindres encore, qu’il a d’ailleurs personnellement connus et fréquentés, aux environs de 1726, dans les tavernes littéraires de Londres ? Je ne sais si les Voyages de Gulliver sont inspirés des Voyages de Cyrano de Bergerac ou de l’épopée de Rabelais, mais ils ont certainement inspiré Micro mégas. Que ne doivent pas encore aux Anglais Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Diderot surtout, qu’on a d’ailleurs appelé « le plus allemand des Français ? » Mais les libres penseurs anglais, — free thinkers, les premiers qui se soient honorés de ce nom ; — mais les dramaturges anglais ; mais les romanciers anglais, Richardson et Sterne, en particulier, voilà les maîtres de Diderot, auxquels, si vous ajoutez François Bacon, son « maître à penser, » nous en pouvons conclure que « le plus allemand de tous les Français » est principalement « anglais » d’éducation littéraire et de formation morale ? L’influence allemande est moins facile à saisir, pour diverses raisons, dont la première, qui peut nous dispenser de rechercher curieusement les autres, est qu’avant Lessing, et avant Goethe, il n’y a presque pas de « Littérature allemande. » Il n’y a que la littérature allemande du moyen âge, et nous avons dit qu’elle était « européenne. » Mais, pour voir grandir cette influence et les communications se multiplier entre la France et l’Allemagne, il suffit de feuilleter la Correspondance Littéraire de Grimm, dont aussi bien les rédacteurs sont un Allemand de