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château, la bigamie de Charles-Louis avait compliqué bien des choses. On remarque, par exemple, dans sa correspondance, qu’il ne jugeait plus les gens que d’après leur attitude vis-à-vis de Louise ; quiconque prenait le parti de Charlotte, fût-ce un de ses propres enfans, s’attirait le ressentiment de l’amoureux Électeur. Or, c’étaient tous les allans et venans, dans ce château où l’on vivait côte à côte, c’était toute la cour et Liselotte elle-même, qui avaient continuellement à se prononcer, à propos de mille riens, entre la femme légitime et la favorite. Les airs d’homme de bien chers à Charles-Louis ajoutaient au déplaisant de la situation. Il y avait alors en Allemagne beaucoup d’intérieurs princiers infiniment plus dissolus que le sien : c’était le seul, à cette date, où l’on se moquât avec cette ampleur des lois et de la religion. Le roi de France était distancé et pour le spirituel et pour le temporel ; Louis XIV ne s’est jamais érigé en pontife, il faut lui rendre cette justice, et, s’il lui est arrivé trop souvent de se mettre au-dessus des lois, il gardait pourtant une certaine mesure ; il a attendu que la Reine fût morte pour épouser Mme de Maintenon.

La petite Liselotte, tout insouciante qu’elle fût, était condamnée à souffrir d’un milieu aussi insolite. Par bonheur pour elle, la princesse Sophie eut pitié de sa nièce et la tira de cet intérieur irrégulier. Elle n’eut pas affaire à une ingrate. Ce service, immense à la vérité, lui valut d’être pour toujours la grande affection de Madame, sa confidente et sa conseillère de loin comme de près. La sœur de Charles-Louis avait été merveilleusement préparée à ce rôle par son expérience précoce de princesse pauvre, à la recherche d’un établissement.


III

Sophie, comtesse palatine du Rhin, née à la Haye en 1630, était le douzième des treize enfans que Frédéric V, électeur palatin et roi de Bohême, avait eus d’Elisabeth Stuart, fille de Jacques Ier, roi d’Angleterre. Ses parens s’étaient fixés aux Pays-Bas après leurs malheurs, et y avaient vécu d’expédiens. La princesse Sophie n’avait pas connu son père, mais elle avait vu sa mère à la peine, tourmentée par ses créanciers et vendant un bijou pour avoir à dîner. Au milieu de sa misère, la reine déchue tenait une cour où affluaient les Anglais de passage, et à