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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/804

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Pour comble de malheur, son gouverneur, dont le métier aurait été de lui donner un peu de panache, semblait prendre à tâche de parfaire l’œuvre des pédans. En 1667, la duchesse Sophie, sachant qu’il était question d’un mariage pour son neveu, crut devoir écrire à Charles-Louis : « (1er septembre.) Signac[1]… m’a raconté que, comme il avait l’honneur de peindre le prince Électoral, et qu’en rêvant ledit prince se raccommodait les cheveux avec la main, M. le gouverneur Watteville, pour montrer son autorité, lui frappait avec un peigne sur les doigts, que le prince rougissait sans oser rien dire ; d’autres m’ont dit aussi que, quand le prince prend quelquefois de la cire de chandelle par un mal de race, le gouverneur le frappe aussi sur les doigts et qu’il ne lui parle jamais que pour le gronder mal à propos ; que le prince a souvent dit qu’il ne sait pas quand il fait bien ou mal, parce que le gouverneur le gourmande toujours, et que c’est cela qui le rend si timide. J’ai cru être obligée de vous dire ceci, puisqu’il me semble qu’un prince qui va au Conseil et qui doit bientôt se marier, n’est plus en âge à être traité de cette sorte… On loue beaucoup le prince et on a dit à Stuttgart qu’on lui avait remarqué beaucoup d’esprit quand le gouverneur n’y était pas présent, mais quand le gouverneur y était, qu’il n’osait pas parler. » Le malheureux se sentait ridicule et avili, et il n’avait pas la force de se révolter. Il disait plus tard : « — Je porte le stigmate de l’oppression. On m’a empoisonné les années de ma jeunesse, et j’ai eu peu de joies dans cette vie. »

La princesse qu’on lui destinait s’appelait Wilhelmine-Ernestine et était fille de Frédéric III, roi de Danemark. Elle avait été choisie parce qu’on s’était imaginé qu’elle était trop molle et trop indifférente pour ne pas « vivre bien » avec Mlle de Degenfeld, et que tout roulait là-dessus à la cour de Heidelberg. Plus que jamais, l’obstiné Charles-Louis, vrai monomane de la bigamie, exigeait pour sa maîtresse un traitement de « seconde épouse, » extrêmement difficile à régler, faute de précédens, et pour lequel il entrait lui-même dans les derniers détails. Quelle est la place d’une « seconde épouse » à la table de famille ? Doit-on la mettre au-dessus des enfans légitimes, ou

  1. Il y eut au XVIe siècle un Français de ce nom, « peintre en émail, » qui séjourna à la cour de Christine de Suède et fit le portrait de cette princesse. Est-ce le même ? Je n’ai pu m’en assurer.