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Restauration, elle reprit sans retard ses néfastes habitudes de domesticité servile et entraîna son souverain aux abîmes en flattant ses instincts absolutistes au lieu de leur résister. — La monarchie de Juillet fut le fruit de ces erreurs ; mais la France commit une nouvelle faute en portant au trône le duc d’Orléans. Il fallait déposer Charles X en 1830, puis couronner aussitôt le Duc de Bordeaux. Rien de plus salutaire en effet qu’une minorité et une régence pour traverser une période difficile. Telle fut l’heureuse inspiration des Anglais lorsqu’ils reléguèrent dans l’île de Wight leur roi parjure, Jean sans Peur, et proclamèrent à sa place son fils mineur Henri III. L’important est de sauvegarder le principe d’hérédité, de faire du titre royal non pas une récompense de la capacité politique, mais une simple question d’état civil. Sinon, la personne du roi prend trop d’importance. Un vrai monarque constitutionnel n’a pas besoin d’avoir une valeur personnelle : il est même bon que sa situation soit peu enviable, qu’il joue le rôle d’un personnage sacrifié. — Toutes ces considérations, inspirées pour la plupart par quelques épisodes de l’histoire d’Angleterre, sont un peu puériles et trop facilement élevées à la dignité de règles générales : mais elles sont bien caractéristiques de l’état d’esprit de leur auteur.

Nous en achèverons la peinture en considérant un instant, par ses yeux, ce « poète frivole, docile écho des erreurs de la foule » qu’il oppose avec dédain, dans sa conclusion, à l’austère figure du grand homme d’Etat protestant dont il commente les souvenirs. Ce poète est nommé par son nom quelques pages auparavant : il s’agit de Béranger, alors à l’apogée de son éphémère popularité. Béranger est déclaré coupable d’avoir créé une très perfide combinaison où s’entremêlèrent l’esprit bourgeois, le matérialisme grossier, et le goût invétéré du despotisme, pourvu qu’il se voile d’une apparence patriotique. Béranger, véritable incarnation du romanisme néfaste et impénitent de l’âme française, a d’ailleurs reçu plus longuement les verges de la main de notre néo-féodal à propos de la publication du Béranger des familles, au cours de la même année 1859. Et comme l’étude de Renan, sur la Théologie de Béranger, clôt le volume intitulé : Questions contemporaines, qui s’ouvre par l’article sur les Mémoires de Guizot, le lecteur de ce livre le commence et l’achève sous l’impression du germanisme outré qui caractérise cette période de la pensée de l’auteur.