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l’héroïsme chevaleresque. En effet, nos vieilles épopées du moyen âge sont à quelques égards germaniques par leur inspiration. La France, où mûrissaient de si beaux fruits, était un pays dominé par la grande féodalité germanique. C’est avec le fabliau que commence la vraie France[1], et ce début ne promet guère pour l’avenir. En vérité, Gobineau n’a point parlé plus amèrement des résurrections celto-gauloises au sein de la race française durant le cours du moyen âge !

Passagères humeurs au surplus ! bouderies d’amoureux peut-être ! Nous allons les voir écartées bientôt par le danger de la patrie !

VI

Ce ne fut pas toutefois sans quelque délai. Le bruit du canon de Sadowa n’inquiéta pas de façon très sensible ces excessives sympathies allemandes de Renan et sa philosophie germaniste de l’histoire. Il faudra plusieurs années, des épreuves autrement pénibles à notre amour-propre national, mainte hésitation et maint retour de sa part, pour le montrer enfin détaché des convictions de son âge viril, revenu à la foi démocratique de sa première jeunesse.

Pourtant la préface des Questions contemporaines donne à penser que les événemens de Bohème ont été médités par l’auteur sans amener un changement radical dans ses vues. Ce n’est point, écrit-il, l’instituteur primaire qui a vaincu à Sadowa, comme le disent les esprits superficiels. C’est la vertu germanique, le protestantisme éclairé, Luther, Kant, Fichte, Hegel : c’est l’esprit politique qui s’appuie sur cette ferme philosophie de la vie. Il ajoute : « Le pays qui supporte le droit divin sans honte et l’inégalité des classes sans envie, le pays qui ne songe pas à se soulever contre sa dynastie nationale est le plus vertueux, le plus éclairé et finira par devenir le plus libre. » Et voici l’ébauche, déjà très reconnaissable, d’une philosophie de la force que nous verrons se préciser davantage par la suite dans la pensée de Renan : « La guerre des temps modernes étant devenue un problème scientifique et moral, une affaire de dévouement et d’industrie savante, est en somme un bon critérium de ce que vaut une race.

  1. Mélanges d’histoire et de voyages, p. 496.