Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/947

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voici les séances de la Convention, et, en particulier, celle où Louis Capet a comparu devant ses juges pour la première fois :


J’étais présent à cette séance, et avais réussi à me placer tout près du Roi. Avant qu’il fût amené à la barre, la Convention avait décrété, sur la motion du boucher Legendre, que « personne sauf le président, n’aurait le droit de dire un mot aussi longtemps que Louis Capet serait présent. » Et Legendre avait ajouté que, de cette façon, « l’âme criminelle du tyran serait frappée d’horreur, comme parmi le silence lugubre d’une tombe. » Aussi Barrère, qui présidait, recommanda-t-il au public des galeries de faire silence. Ces galeries étaient d’ailleurs remplies d’hommes et de femmes qui, installés depuis la veille, s’étaient tenus éveillés, pendant la nuit, en chantant l’hymne des Marseillais. Des gardes nationaux leur vendaient des gâteaux et du vin.

Le matin, les députés se réunirent, et procédèrent à leur ordre du jour, pendant que Santerre était envoyé au Temple pour y prendre le Roi… Enfin celui-ci entra, escorté par plusieurs officiers de l’état-major de Paris, et suivi par Santerre. Il s’avança à la barre, dans une attitude droite et ferme, et promena un regard sur l’assemblée silencieuse, un regard où il me sembla lire un certain défi. Je l’observais, à ce moment, avec l’attention la plus vive ; et je crus voir que, lorsque son regard tomba sur les drapeaux pris aux Autrichiens et aux Prussiens, il eut un petit sursaut, dont il se remit, d’ailleurs, instantanément.

On apporta une chaise de bois, sur laquelle Barrère l’invita à s’asseoir. Durant la lecture de l’acte d’accusation, qui eut lieu ensuite, le Roi ne cessa point de tenir ses yeux fixés sur le président. Puis, lorsque s’ouvrit l’interrogatoire, il répondit de la façon la plus nette à chacune des charges, sans l’ombre de préméditation, et avec tant d’à-propos que l’auditoire en fut étonné…

Jusque-là, la victoire était de son côté. Le président paraissait fort embarrassé : et son embarras grandit encore lorsque Barbaroux et plusieurs autres députés accoururent vers lui et lui murmurèrent quelque chose à l’oreille. C’est alors que Manuel s’avança au milieu de l’espace libre, et, d’un ton maladroit, s’écria : « Citoyen président, les représentans du peuple ont décrété que personne ne devait parler aussi longtemps que le Roi, — je veux dire que Louis Capet, — serait parmi nous. Je propose maintenant que Louis soit emmené, pour un instant, hors de la séance, afin que chaque membre puisse exprimer son opinion ! »

Aucune plume ne saurait donner une idée de la mine confuse et piteuse de Manuel, lorsqu’il s’aperçut que le mot « Roi » s’était échappé de ses lèvres. Au bruit de ce nom, je vis Legendre se lever, le visage furieux, prêt à mugir. En se rasseyant, il appliqua un terrible soufflet sur l’oreille de son voisin Bourdon de l’Oise, pour l’avoir rappelé à l’ordre : Bourdon riposta par un coup de poing, et plusieurs députés durent s’employer à les séparer. Au milieu de cette confusion, où tous les membres parlaient à la fois, Barrère agita sa sonnette et pria le Roi de se retirer.

Ce Barrère, qui était un hypocrite achevé, ne cessa point, durant le procès, d’affecter envers son ancien maître la plus grande déférence : il