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protester : il ne l’était pas d’inviter les citoyens à y répondre par le refus de l’impôt et du service militaire. L’invitation n’a eu d’ailleurs aucun effet : elle a donné seulement au ministère un nouveau grief contre les Cadets. Néanmoins, ils ne croient pas pouvoir déposer — théoriquement — une arme qui s’est montrée aussi inefficace et ils ont commencé à Helsingfors, par la fourbir et par la brandir comme une menace ; mais ils ont ajouté aussitôt que cette menace n’était que pour plus tard, et qu’ils renonçaient à l’exécuter immédiatement. Ils en ont même donné assez ingénument la raison, en avouant qu’ils ne seraient pas suivis s’ils conseillaient le refus du service militaire et de l’impôt. Alors ? N’aurait-il pas mieux valu oublier, afin de le faire oublier, le manifeste de Viborg, et publier un manifeste d’Helsingfors qui aurait été une œuvre originale et inédite ? Les Cadets en ont jugé autrement : peut-être se sont-ils trompés. On continuera de les accuser de ne s’être pas affranchis des partis révolutionnaires, et même de ne pas pouvoir le faire à la veille des élections : et l’accusation ne sera pas sans quelque vraisemblance.

Nous avons dit que le manifeste de Viborg n’avait pas eu plus d’effet qu’un coup d’épée dans l’eau, ce qui d’ailleurs est fort heureux. Personne n’a refusé le service militaire, et l’impôt direct est rentré comme auparavant. Les Cadets cherchent aujourd’hui un moyen de s’opposer aux impôts indirects, ce qui peut s’appeler jouer la difficulté ! S’ils réussissent à empêcher les populations rurales de boire de l’alcool, le coup qu’ils auront porté au budget sera largement compensé par l’immense bienfait qu’ils auront rendu à la nation. Mais ce sont là des projets chimériques. En réalité, s’il y a eu beaucoup d’agitations à la surface, le fond du pays en a beaucoup moins subi le contre-coup qu’on ne pourrait le croire. C’est même un spectacle singulier, imprévu, déconcertant, que nous offre la Russie : il serait impossible dans nos gouvernemens occidentaux plus fortement centralisés. Sur toute la surface du territoire, on assiste à des incidens anarchiques avec lesquels nous aurions beaucoup de peine à vivre. Ce sont des assassinats, des pillages, des incendies incessans ; et, tout à côté, le gouvernement continue de fonctionner, c’est-à-dire de gouverner, et l’administration d’administrer, comme si le gouvernement et l’administration opéraient dans une sphère et si le pays se mouvait dans une autre. Comment expliquer ce phénomène ? L’immensité de la Russie, la diversité des races qui l’habitent, une solidarité entre elles moins étroite qu’ailleurs, la localisation des gouvernemens provinciaux, empêchent sans doute à ces accidens d’être sentis au centre aussi