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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/198

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LA SAISON DU MIEL


Dans le jardin brodé de corolles vermeilles,
Ce soir, un jeune essaim de nouvelles abeilles
Erre avec un murmure harmonieux, si doux
Qu’en l’idéalisant mon rêve est à genoux.
Une adoration fervente sort des choses,
Epanouit les fleurs longtemps chastes et closes,
S’exhale en baumes purs et monte en vagues chants.
Des vignerons épars sur les coteaux penchans,
Des pâtres, des troupeaux, qu’attirent les fontaines
Se confondent les voix et les rumeurs lointaines.
L’essaim s’arrête, hésite et part, s’arrête encor…
Aucune ruche ancienne aux alvéoles d’or,
Nul refuge mielleux, du groupe qui voyage
Ne guette dans le soir l’aérien sillage.
Quel toit va l’accueillir ? où se fixera-t-il ?
De plus vierges senteurs dans le vent plus subtil
Passent. Du crépuscule un peu d’extase émane,
Et le pollen léger neige comme une manne.

Abeilles de candeur, de courage et de foi,
Si le jardin vous plaît, demeurez près de moi.
Mon enclos, où jamais la haine ne se glisse,
Est parfumé de thym, de menthe et de mélisse.
L’air y garde une odeur de verveine et d’anis,
Et les bruits odieux en ont été bannis.
Je sais, de plus, au tronc de mon antique érable,
Je connais, au sommet du tilleul vénérable,
Des creux d’ombre et de mousse où vous abriterez
Votre agreste récolte et vos trésors sucrés.
Là tu seras paisible, ô famille inquiète,
Car rien n’ose troubler la maison du poète ;
Et peut-être, ô tribu blonde, insectes divins,
Vos innocens labeurs ne seront-ils pas vains.
Oui, peut-être, écoutant un vol clair qui butine
Entendrai-je en un coin de mon âme enfantine
Bruire, essaim vivant que baigne un tendre jour,
Les chimères sans trêve écloses de l’amour.