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Les femelles, que grise un effluve champêtre,
Avec leurs fins chevreaux déjà sevrés, vont paître.
Brusquement détendu, l’acier de leurs jarrets,
De saut en saut les mène aux lieux les plus secrets,
Et l’élastique élan de leurs fougues grimpantes
Les conduit jusqu’aux plus vertigineuses pentes.
Vers les sommets fleuris de lavande, parmi
Les lacets tortueux du vieux mont endormi,
Escaladant les rocs déserts, broutant les câpres,
Les lierres, gravissant les escarpemens âpres,
Suspendu quelquefois sur le flanc des ravins,
Le troupeau marche, et tous les obstacles sont vains.
D’un pied souple et nerveux, sûr de son patriarche,
Dont flairent les naseaux subtils, le troupeau marche
Farouche, jusqu’au soir, sans guide ni pasteur,
Au gré de son instinct sauvage et migrateur.
Mais, lorsque enfin grandit l’ombre aux fraîches haleines,
Lourdes du lait amer de leurs mamelles pleines,
Les chèvres vers l’enclos reviennent pesamment ;
Et si quelque chevreau chevrote un bêlement,
La plainte à l’horizon s’efface, lente et triste ;
Tandis que l’Occident de cendre et d’améthyste
De mourantes lueurs escorte la tribu
Que dirige le mâle irritable et barbu.


AU TEMPS DES BLÉS


Le vieux coq a clamé sa sonore allégresse.
Maître, fils et valets, tous déjà sont debout.
Nul d’entre eux de ses durs labeurs ne sait le bout,
Et le premier regard de l’aube les caresse.

Bientôt, comme devant un conseil assemblé,
Le fermier, dans la cour où grandit la lumière,
Distribue à chacun sa tâche coutumière,
Et c’est le mois torride où l’on coupe le blé.

Or, ayant attelé les percherons robustes,
Les uns guident les chars dont grincent les essieux,
Et sur l’horizon pâle encor silencieux
Dressent la majesté rustique de leurs bustes.