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du monde ! C’est impossible, impossible autant que d’épouser Gryce. Qu’elle s’en rapporte à lui. Il prendra soin de ses intérêts ; il fera valoir ses fonds sans aucune risque pour elle… trop heureux de la servir. — Et Lily, qui n’entend rien aux spéculations, se laisse faire, contente d’avoir reconquis son empire sur l’espèce masculine, cette espèce fût-elle représentée par un être aussi médiocre que lest en réalité Gus Trenor. Mme Wharton nous le montre figurant comme un simple comparse dans le spectacle fastueux, dont il paye les frais, lourd, adonné au whisky. Lily, ne soupçonnant pas sa brutalité foncière, croit qu’elle marquera une reconnaissance suffisante à ce vieil ami en écoutant avec complaisance de grosses plaisanteries et des contes à dormir debout. De cette complaisance d’ailleurs Judy Trenor lui sait gré comme d’un service personnel : « Que c’est gentil à vous, chérie, de subir si patiemment ses vieilles rengaines ! Et je ne suis plus forcée d’inviter Carry Fisher pour le maintenir en bonne humeur. Un parfait vautour que cette femme-là, figurez-vous, sans l’ombre de sens moral. Elle pousse tout le temps Gus à spéculer pour elle et ne paye jamais quand elle perd, je le parierais. »

Lily n’a garde de s’appliquer ces paroles ni de faire aucun retour sur elle-même, puisque Gus lui a expliqué plus ou moins clairement qu’elle n’exposait rien et ne perdrait jamais. Le peu qu’elle possède, confié à des mains habiles, lui rapporte des intérêts assez considérables pour la tirer d’embarras. Dans son inexpérience des affaires, elle ne voit que cela et use sans scrupule, pour s’acquitter envers ses fournisseurs, des chèques qui lui sont envoyés.

Ici le roman, malgré toutes ses qualités de construction et de détails, commence à devenir singulièrement désagréable, j’entends au goût de nous autres lecteurs français. Sans doute il peut y avoir à Paris certaines dames qui font payer par leurs amis des notes extravagantes de couturière, mais la chose doit être rare plus encore que ne l’est l’adultère dans le « grand monde » américain si abominablement corrompu d’ailleurs.

Carry Fisher est de ces personnes qui acceptent des pots-de-vin pour lancer un juif douteux dans « la société ; » Mme Dorset est franchement nasty, capable de tout en somme. Moyennant de sérieux profits, des hommes élégans, mais gênés pour faire bonne figure au bridge dans les salons qu’ils fréquentent,