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qui a reconnu l’écriture de Bertha, les achète dans un bel accès de générosité, craignant peut-être qu’on ne s’en serve pour nuire à Selden, et avec l’intention de les détruire.

Quoi qu’il en soit, elle est maîtresse du secret de son ennemie, mais nous pouvons être sûrs qu’elle n’en abusera jamais. L’auteur semble même lui faire de cette abstention un mérite excessif. Ce qui se comprend moins, c’est qu’elle continue tant qu’elle le peut ses rapports avec une femme sans cœur et sans honneur. Hélas ! les Dorset ont un yacht, ils entreprennent d’amusantes croisières sur la Méditerranée, séjournent à Monaco dans les conditions que connaissent tous ceux qui ont visité cette jolie petite capitale du vice et vu les étrangers y faire la fête. Elle les suit donc. Il lui suffit de se dire, en palpant les lettres : « Je tiens là de quoi la perdre quand je voudrai. » Mais ne serait-il pas plus simple et plus digne de lui tourner le dos, sans attendre d’être mise par elle effrontément à la porte ?

Cette brouille publique avec Mme Dorset lui aliène à tout jamais sa tante, avertie déjà par une autre parente pauvre, naturellement envieuse, des services d’argent que Trenor rend à cette nièce trop émancipée qui joue au bridge, même le dimanche, risque des sommes considérables, et s’affiche avec des hommes mariés.

Quand Mme Peniston meurt à peu de temps de là, il se trouve que la dénonciatrice des incartades de Lily hérite du plus gros de sa fortune et que Lily n’est inscrite sur le testament que pour la somme dérisoire de dix mille dollars, tout juste de quoi rendre à Gus Trenor l’argent qu’il se vante de lui avoir donné, car la discrétion de ce gentleman n’est point à l’épreuve du cocktail.

Elle l’est si peu que sa femme ne tarde pas à découvrir qu’elle n’a rien gagné en substituant Lily Bart à Carry Fisher et rompt à peu près de la même façon avec toutes les deux, Selden, qui a vu Lily sortir de la maison des Trenor où Gus l’a une nuit attirée par ruse en l’absence de sa femme, Selden, si amoureux qu’il puisse être, se dérobe à l’engagement presque conclu et déjà scellé d’un baiser. Rosedale, qui eût donné des millions pour épouser cette reine de la mode, traitée en amie à Monte-Carlo par la duchesse de Beltshire, et dont les journaux parlent encore comme de la belle miss Bart, renonce une bonne fois à elle après le dernier scandale qui l’a mise hors du vrai monde.