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s’est trouvé être ce que le peuple appelle l’homme du jour, mot d’ailleurs inquiétant, car il ne comprend pas l’avenir.

M. Sarrien a donné sa démission pour des motifs de santé : il l’a affirmé, et nous n’avons aucune raison d’en douter. Mais peut-être sa santé aurait-elle eu moins d’exigences, si la politique ambiante n’avait pas eu les siennes auxquelles il ne pouvait plus suffire. Il faut une main et une tête très fermes pour conduire un attelage dont M. Clemenceau fait partie, et M. Sarrien n’avait plus ni l’une ni l’autre. Tout lui échappait, même dans son entourage immédiat : on a pu en juger par la disgrâce d’un de ses directeurs qui lui faisait signer des papiers sans les lui faire lire. Quand on en est là, le mieux évidemment est de prendre sa retraite. Celle de M. Sarrien n’en a pas moins été un accident fâcheux au moment où elle s’est produite. L’homme est personnellement estimable et bienveillant. S’il a les idées de son parti, qui est aujourd’hui le parti radical-socialiste, il n’en a pas le tempérament sectaire. Aussi son action, malheureusement très faible, s’exerçait-elle dans le sens de la modération. Enfin il rendait un service plus considérable qu’on ne l’a cru rien qu’en occupant la présidence du Conseil, parce qu’il empêchait un autre de la prendre, et il y a des momens dans l’histoire où il faut savoir se contenter du moindre mal. M. Sarrien n’était qu’un tampon, mais il en était un. Les chocs en passant à travers lui étaient moins rudes. Les résolutions prises s’exécutaient mollement, ce qui était un avantage, puisqu’elles étaient généralement mauvaises. A la place du tampon, nous avons aujourd’hui une machine tout en acier : on verra la différence.

M. Clemenceau a fait précéder son accession au pouvoir d’une campagne oratoire dont nous avons reproduit, il y a quinze jours, les premiers échos. Il n’avait encore parlé, alors, que dans son pays natal, la Loire-Inférieure. Depuis, il s’est rendu dans son pays électoral, le Var, où il s’est épanché en discours pendant cinq jours consécutifs du matin au soir, tantôt à un endroit, tantôt à un autre, se répétant quelquefois, mais continuellement en verve et se livrant à toutes les fantaisies qui lui passaient par l’esprit. A l’entendre, on n’aurait pas cru qu’il se préparait à assumer des responsabilités si délicates. Les mots à l’emporte-pièce, les facéties, les drôleries coulaient à pleins bords dans le torrent de sa parole. On n’avait pas le temps de s’y arrêter, tant ils se succédaient vite. Ces fusées tombaient d’ailleurs où et sur qui elles pouvaient. En veut-on un exemple ? Voici comment M. Clemenceau a parlé du Pape. Après avoir dit que, vieux partisan de la séparation de l’Eglise et de l’État, il avait long-