Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taire de M. Sarrien et de le mettre à sa place au ministère de la Justice. Est-ce bien là ce que voulait M. Clemenceau ? Se proposait-il vraiment de ne changer qu’une personne dans le Cabinet, et comptait-il assez sur son ascendant personnel pour lui imprimer son propre caractère et en faire, quand même, un cabinet Clemenceau ? On a quelque peine à le croire : en tout cas, les choses ont tourné autrement. A peine M. Sarrien disparu, son ministère s’est décomposé. M. Clemenceau a essayé, peut-être sans grand espoir, peut-être aussi sans grand désir de succès, d’en retenir quelques morceaux ; mais il y a renoncé vite, et il a formé en fin de compte le ministère le plus étroitement, le plus intimement, nous allions dire le plus familialement personnel. Peu de jours ont suffi pour opérer dans ses intentions un changement aussi complet.

Il a paru vouloir conserver deux ministres, les plus importans à la vérité, M. Poincaré et M. Bourgeois : il a éprouvé deux refus. Ces refus ont été entourés de toutes sortes de politesses. M. Poincaré s’est plu à reconnaître que, pendant toute la durée du ministère Sarrien, il n’y avait pas eu le moindre nuage entre ses collègues et lui : son programme financier avait obtenu l’adhésion absolue de M. Clemenceau. Ce n’était donc pas de sa part que M. Poincaré craignait des difficultés ; mais il en avait déjà rencontré auprès de la Commission du budget et il les considérait comme irréductibles, les divergences portant, non pas sur des questions de détail, mais sur la méthode même qui pouvait rendre efficaces les efforts communs de la Commission et du ministre. Est-ce la seule raison qui ait déterminé M. Poincaré à maintenir sa démission ? Dans ce cas, il s’est découragé un peu vite. De tous les ministres de M. Sarrien, c’est celui qui s’est fait le plus d’honneur auprès de l’opinion par la loyauté avec laquelle il a exposé la situation de nos finances et par la fermeté avec laquelle il a indiqué les mesures à prendre pour la rétablir sur une base normale, régulière et solide. Nous n’approuvons pas tous ses projets ; plusieurs appelaient des réserves ; mais sa méthode de travail était parfaite parce qu’elle était sincère, et qu’à des dépenses qui n’étaient que trop réelles il voulait faire équilibre par des recettes qui ne le seraient pas moins. La Commission du budget avait adopté d’autres procédés : elle était revenue au vieux système qui consiste à masquer le déficit dans le présent et à faire face, pour l’avenir, à des dépenses réelles et grandissantes avec des recettes en partie fictives. M. Poincaré ne voulait pas se prêter à cette périlleuse supercherie : mais qui sait si la Chambre ne lui aurait pas donné raison ? La Commission ne fait,