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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/238

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rester en lui laissant carte blanche ; il a causé avec lui, a constaté qu’ils n’étaient pas d’accord et s’en est séparé. On a vu bientôt après qu’il avait en réserve son plan et son homme. Le départ de M. Etienne est regrettable. Lorsqu’il a été nommé ministre de la Guerre, on a pu penser que rien dans ses antécédens, si ce n’est l’ardeur de son patriotisme et son amour de l’armée, ne l’avait désigné pour ce département ; mais il y avait réussi. Son désir de bien faire avait inspiré confiance. C’est au moment où, après avoir fait son premier apprentissage, il pouvait rendre le plus de services, que M. Clemenceau l’a remercié. Il était écrit que M. le général Picquart deviendrait ministre.

Après avoir parlé de ceux qui sortent et avant de parler de ceux qui entrent, il y a quelque chose à dire de ceux qui auraient pu entrer et ne l’ont pas fait. Certains refus, comme certaines adhésions, donnent en effet toute sa signification au ministère. M. le président du Conseil a offert le portefeuille de la Justice à M. Millerand qui ne l’a pas accepté. Singulière démarche ! On se demande si M. Clemenceau tenait vraiment à ce qu’elle aboutît. La place de M. Millerand semblait marquée dans un cabinet qui prétend accomplir une grande œuvre sociale, et dans lequel on a commencé par créer un ministère du Travail. Il était indiqué mieux que personne pour ce ministère auquel il avait préparé les voies. M. Clemenceau lui a proposé la Justice, se doutant bien qu’il n’en voudrait pas ; M. Millerand a exprimé une préférence pour les Affaires étrangères, se doutant bien qu’on ne les lui donnerait pas. Il était cependant en droit de les demander, et s’il a voulu mettre M. Clemenceau dans son tort vis-à-vis de lui, il y a réussi. On ne peut pas dire, en effet, des Affaires étrangères comme de la Guerre, que M. Clemenceau avait dès longtemps pour elles son plan et son homme, ni que, dans sa pensée, l’attribution en était faite ne varietur à M. Pichon, puisqu’il les a successivement offertes à M. Poincaré et à M. de Selves. Pour ce qui est de M. Poincaré, passe encore : M. Clemenceau savait bien qu’il se récuserait. Mais M. de Selves ? M. de Selves, depuis de longues années déjà préfet de la Seine, est un homme d’un caractère séduisant et d’un esprit souple et délié, qui auraient très utilement trouvé leur emploi dans la diplomatie s’il les y avait exercés plus tôt. Le Conseil municipal de Paris n’est pas à quelques égards plus facile à manier que l’Europe, et M. de Selves s’en tire fort bien. En songeant à lui, M. Clemenceau a donné une preuve de bon goût ; mais ce qu’il y avait de personnel et d’imprévu dans ce choix montre qu’il ne tenait pas essentiellement à M. Pichon, et qu’il était en peine de trouver, pour le mettre à