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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/335

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« Le jour où nous l’avons abandonnée à elle-même, la machine brutale s’est détraquée. Je crains qu’il ne faille la remiser pour des siècles. »

Que la France revienne donc à sa dynastie nationale. À ce prix, le hobereau consentira de son côté quelques concessions sur les privilèges de sa caste. Il avoue que la noblesse actuelle n’a plus de signification de race, parce que trop d’usurpateurs ont pénétré dans son sein. Il faudra donc la reconstituer, par le suffrage à deux degrés d’une part, et par la réorganisation de l’armée d’autre part. On s’efforcera de favoriser la vocation militaire au sein de certaines familles énergiques, afin que l’instinct du commandement y devienne héréditaire : voilà pour l’armée de première ligne ; les réserves trouveront leurs cadres dans les rangs d’une gentry résidente qui fournira les chefs, également héréditaires, d’une solide landwehr française. Telles sont les vues de ce gentilhomme : elles se ressentent des soucis de l’occupation allemande, et de l’obsession du modèle prussien. Il admet du reste que ce sont peut-être des rêves. Mais en ce cas, conclut-il, la France est perdue !

Heureux, reprend alors, avec quelque ironie, l’interlocuteur libéral enfin réveillé de son mutisme, heureux celui qui trouve dans des traditions de famille ou dans le fanatisme d’un esprit étroit l’aptitude à former des plans de ce genre et à en espérer le salut. Mais il est probable que la France ne pourra copier si servilement la Prusse, parce que son tempérament national s’y oppose. Quel espoir nous reste-t-il donc ? Le libéral se rallie sans protestation à celui-là même que formulait le gentilhomme, pour le cas où tous les remèdes qu’il propose auraient été reconnus vains : c’est-à-dire à la contagion probable de notre maladie sociale, qui sera bientôt portée par notre contact dans les veines d’un adversaire, aujourd’hui robuste encore. Le libéralisme est une cause d’affaiblissement : le monde qui nous entoure et qui va s’énervant chaque jour nous empruntera demain ce vice. La France est plus sûre d’avoir sa revanche par ses défauts que par ses qualités : elle fut vaincue par un reste de rudesse et de pesanteur que feront disparaître les progrès de la démocratie, cet énergique dissolvant de la valeur guerrière. Que notre consolation soit donc d’avoir devancé le monde dans la route qui conduit à la fin de toute noblesse et de toute vertu ! — Voici cette fois le pessimisme gobinien dans son plein épanouissement 1 Encore cette