Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une philosophie de la force, d’un impérialisme théorique pur et suffisamment dégagé de l’alliage germaniste. Sans doute furent-ils retouchés après leur première rédaction, et débarrassés des vestiges d’une influence désormais moins prépondérante dans la pensée de l’auteur.

Les deux premières conversations, qui sont intitulées Certitudes et Probabilités, furent évidemment conçues sous l’influence des théories de Hartmann, cet adroit ordonnateur des résultats acquis par un siècle de méditation philosophique en Allemagne. Renan se plaît à y caresser de nouveau avec complaisance les hypothèses métaphysiques et mystiques jadis chères à son inquiète et studieuse jeunesse. Mais l’aspect religieux de sa doctrine ne doit pas nous retenir en ce moment. Voici qui nous intéresse davantage en vue de notre objet. Un souffle darwinien anime la philosophie de Hartmann ; il fait appel à une espèce animale plus élevée qui, continuant sur la terre le travail de l’humanité, atteindra peut-être la perfection matérielle et morale interdite à nos efforts impuissans.

À cette suggestion ingénieuse, Renan sans doute a prêté l’oreille, car ses graves personnages abordent, vers la fin du second Dialogue, des considérations ethniques et physiologiques, au-dessus desquelles ils avaient plané bien haut jusque-là. L’on dirait presque que, sous l’influence de ses griefs patriotiques, l’auteur ait alors repris en main l’Essai sur l’inégalité des races afin d’apprendre de Gobineau à refuser aux Allemands modernes l’héritage du germanisme pur, et à élargir de nouveau cette dernière notion pour en faire tantôt un « aryanisme » plus accueillant aux rivaux du nouvel Empire, tantôt une philosophie de la force qui peut être professée par d’autres encore que par les fils des Aryens. En effet, après nous avoir montré, à l’exemple de Hegel, la marche du monde vers la raison parfaite, l’auteur des Dialogues se demande avec inquiétude si cette belle réalisation se produira sur notre planète. Car il suffit, dit-il, à la Nature que la Raison soit réalisée quelque part, et, en dépit de l’orgueilleuse assurance qui distingue les humains, il n’est pas certain que le globe terrestre soit destiné à fournir le théâtre de cet achèvement.

Plus d’un obstacle pourrait entraver l’homme dans sa marche vers la perfection divine. Tout d’abord, et c’est ici l’ami de M. Berthelot qui parle, il est concevable que notre civilisation