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Parmi les différens procédés qu’il imagine et propose afin de hâter la venue du surhomme, il en est un qui nous le montre toujours prisonnier de ses tenaces illusions germanistes. Décidé à l’aire appel à la sélection, pour créer une race supérieure qui puisera son droit divin dans la supériorité même de son sang, il suppose une fabrique d’Ases, un Asgaard ressuscité de façon artificielle au centre de l’Asie. Et cette propension à se retrancher dans la forteresse légendaire des premiers Germains, dans le burg vénérable qui fut si cher au souvenir du comte de Gobineau, nous fournit encore un indice pour appuyer l’hypothèse d’une récente lecture de l’Essai sur l’inégalité des races, par le rédacteur ingénieux des Dialogues philosophiques.

Ecoutez ces développemens caractéristiques. Le principe le plus nié par l’école démocratique, écrit Renan, est celui de l’inégalité des races et de la légitimité des droits que peut conférer actuellement une prétendue supériorité d’origine. Et certes, il est absurde autant qu’injuste d’imposer aux hommes, sous prétexte de droit divin, des maîtres qui ne leur sont en rien supérieurs. Telle est à l’heure présente la situation de la France où la noblesse ne représente plus une supériorité de race comme au temps de la conquête franque. Mais cette supériorité de race, aujourd’hui disparue de notre sol, pourrait redevenir réelle. Et alors, le fait de la noblesse serait de nouveau scientifique, vrai et incontestable autant que l’est la prééminence du civilisé sur le sauvage et de l’homme sur les animaux. Il semble, ajoute Théoctiste, qu’une telle solution, si tant est qu’elle se produise à un degré quelconque sur la planète, se produira par l’Allemagne.

— Entendez-vous que ce soit un éloge ou une critique ? interroge Eudoxe.

— Comme il vous plaira, riposte prudemment Théoctiste. La France est libérale et démocratique. Si le dernier mot des choses est que les individus jouissent péniblement de leurs petites destinées finies, la France aura raison. Mais ce n’est pas ce pays qui atteindra jamais la grande harmonie, ou, si l’on veut, le grand asservissement de conscience dont nous parlons. Au contraire, le gouvernement du monde par la raison, s’il doit avoir lieu, paraît mieux approprié au génie de l’Allemagne, qui montre peu de souci de l’égalité, ou même de la dignité des individus, et qui a pour but, avant tout, l’augmentation des forces intellectuelles de l’espèce.