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à mon intérêt comme au sien. J’espère que vous me donnerez incessamment de vos nouvelles, et que les choses se passeront dans la justice et l’équité. Il faut agir dans les règles, et qu’une porte soit ouverte ou fermée. Il est extraordinaire que je n’aie ni terre ni quittance.


Ces différends d’ailleurs n’altèrent point la bonne amitié, si l’on en juge par le fréquent envoi des produits de leurs terres, menus présens rustiques, tels qu’œufs de pintades, de perdrix, graines de légumes, oignons et boutures de fleurs rares, avec instructions détaillées pour faire éclore les uns et faire germer les autres. Plusieurs billets ont trait à un cadeau d’un autre genre, qui fut beaucoup moins bien reçu :


Vous me mandez, ma chère fille, que vous m’enverrez un aiglon pour garnir ma volière ; je vous en remercie, et, s’il n’est pas parti, je vous prie d’en faire présent à d’autres. Un animal comme celui-là coûte à nourrir plus que quatre hommes ! On dit qu’il leur faut de la bonne viande, et qu’ils ne mangent point de tripes, comme vous dites…

Ma fille, écrit-il peu après à son gendre, me flatte qu’elle me nourrit un aiglon. Ce n’est pas là un enfant de volière, et je ne suis pas curieux de ces oiseaux voraces. Je la prie d’en faire cadeau à un ami. Ce présent seyant davantage à un duc qu’à un simple gentilhomme, il figurera mieux dans un aussi grand château que celui de Gadagne[1]. Mais, comme on m’a dit que vous êtes en pays de fleurs, si, par vos amis, vous pouvez en avoir, je vous serais très obligé de m’en envoyer et de me mander la manière de les planter et cultiver.


Actif, énergique et robuste, le comte de Vichy tirait gloire de sa verte vieillesse, et ne supportait pas qu’on le pût croire malade :


Je ne sais pourquoi Mme de Chàteaugay vous a mandé que j’étais abattu d’un gros rhume ; elle sait bien que je me porte à merveille. Le temps est si variable, qu’il reste toujours quelque petite émotion de fluxion, mais je dors bien et j’ai bon appétit, Il n’y a que quelques quintes de toux qui me prennent de temps en temps ; je compte en être bientôt débarrassé.


La mort le surprit un beau jour, sans avertissement préalable, en décembre 1736. De ceux qu’il laissait derrière lui, l’un des plus affligés fut, semble-t-il, son premier gendre, le marquis du Deffand, qui, bien que depuis dix ans séparé de sa femme, entretenait avec son beau-père des rapports amicaux :

  1. Parent des d’Aulan, fraîchement doté par le Pape d’un titre ducal dans le comtat Venaissin.