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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/368

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raccommodément durable, et ne recueillir pour salaire, de la part de sa sœur, que sécheresse et dédain : « Elle passe tout l’hiver à Paris, et elle se conforme à la saison, dit-il avec une pointe d’amertume ; je veux dire que sa froideur pour moi est sans égale ! » Mais sa plus vive tendresse est pour sa nièce, Françoise d’Aulan, enfant sensible et douce, peu aimée de sa mère, qui préférait ouvertement son fils.


Il me paraît, ma chère sœur, lui reproche timidement l’abbé, que votre tendresse pour ma nièce est bien refroidie depuis l’arrivée du garçon. Elle faisait vos délices ; elle ne fait plus que votre amusement. Eh bien ! je la regarde comme ma fille, et je veux en prendre soin tôt ou tard. Parlez-lui de moi, et faites-lui connaître mes intentions. La pauvre petite pouponne me fait pitié. Allez, ma sœur, vous n’êtes qu’une volage ; je ne vous, aurais jamais soupçonnée d’une telle inconstance !


Dix ans plus tard :


Je m’aperçois avec quelque chagrin de votre indifférence sur tout ce que je vous ai écrit au sujet de ma nièce ; je ne sais si c’est défaut de tendresse de votre part, ou si la pauvre enfant vous a donné quelque sujet de mécontentement. Vous en parlez de façon à me faire croire que vous n’êtes pas contente de son caractère, puisque vous craignez que la connaissance qu’elle aurait de ma tendresse lui causât de la vanité… Je ne vous en parlerai donc plus, puisque cela vous fait de la peine. Je ne l’aurais jamais cru ; mais, comme cette enfant n’en est pas cause, je réserverai en moi-même ma bonne volonté.


La dernière lettre qui subsiste de cette correspondance est empreinte de mélancolie, comme on peut l’attendre d’un homme qui se sent peu à peu oublié dans sa solitude et souffre de cet abandon :


J’ignore ce que fait mon frère, je ne reçois aucunement de ses nouvelles. Quant à vous, voilà bien des années que nous ne nous sommes point vus, et je ne peux prévoir quand j’aurai cette satisfaction. Mandez-moi au moins quelle est votre vie, et dans quelle position vous êtes aujourd’hui. Personne ne prend plus que moi intérêt à vous : je donnerais de mon sang, s’il le fallait, pour vous en convaincre. Adieu, ma chère sœur, vous n’aurez jamais de meilleur ami que moi[1].


Il resterait, pour achever cette revue, à parler de la sœur cadette de Mme du Deffand, de neuf ans plus jeune qu’elle[2],

  1. Lettre du 12 octobre 1756. — Archives de la Drôme.
  2. Mme d’Aulan naquit le 28 février 1706 et mourut à Avignon en 1769.