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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/370

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bien différent sur leurs âmes. Autant Anne, la cadette, devint et demeura religieuse et croyante, docile aux leçons de ses maîtres, autant Marie, l’aînée, se montra de bonne heure sceptique, frondeuse, rebelle à toute discipline de l’esprit. Elle jouait encore à la poupée, qu’elle prêchait déjà, dit Chamfort, « l’irréligion à ses compagnes. » On sait comment l’éloquent Massillon tenta de la convaincre et y perdit ses peines : « Qu’on lui achète, recommanda-t-il en sortant, un catéchisme de cinq sols. » On suivit le conseil, on lui donna le petit livre ; elle le lut, mais sans aucun fruit : « J’avais à peine dix ans, dit-elle, que je commençais à n’y rien comprendre. » Un peu plus tard, vers seize ou dix-sept ans, elle entama, par lettres, une polémique avec son confesseur, auquel elle soumettait ses doutes ; la pénitente n’y gagna rien ; par contre, l’âme du directeur courut, dit-on, grand risque[1].

On se tromperait toutefois si l’on prenait la marquise du Deffand pour une de ces incrédules de métier dont foisonne le XVIIIe siècle, méprisant les anciennes croyances et faisant parade d’impiété. « Elle regretta toute sa vie, assure Horace Walpole, de n’être point dévote, ce qui lui paraissait l’état le plus heureux de cette vie. » Certains passages des lettres qu’on lira plus loin confirment le dire de Walpole ; elle envie à sa sœur d’Aulan la sérénité de sa foi et déplore amèrement l’impuissance où elle est d’imiter son exemple. Elle ne rompit jamais entièrement avec les pratiques religieuses : en s’installant à Saint-Joseph, elle tint à avoir une « tribune » donnant sur la chapelle des sœurs[2], et, chaque dimanche, elle en faisait usage. Elle eut longtemps pour confesseur le Père Boursault[3], homme pieux et sage, dont elle estimait les lumières, et qu’elle chargea, lorsqu’elle la vit gravement malade, d’assister son amie, Mlle Aïssé : « Vous serez étonnée, témoigne cette dernière, quand je vous dirai que les confidens et les instrumens de ma conversion sont mon amant[4], Mme de Parabère et Mme du Deffand… Mme du Deffand, sans savoir ma façon de penser, m’a proposé d’elle-même son confesseur, le Père Boursault. »

  1. Miss Berry, légataire des papiers de Mme du Deffand, lut ces lettres, aujourd’hui égarées, et elle en parle dans sa notice.
  2. Lettre du 25 juillet 1748. — Archives de la Drôme.
  3. Edme-Chrysostôme Boursault, né en 1670, fils de l’auteur du Mercure galant. Il fut pendant un temps le prédicateur ordinaire du Roi.
  4. Le chevalier d’Aydie.