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lesquels tenaient en puissance leurs femmes, et la fortune de leurs femmes. » Vers le même temps, Coquille s’exprimait avec amertume sur l’avarice des femmes et la coquetterie des veuves. Enfin, au XVIIIe siècle, Pothier, si sûr de sa pensée, si mesuré dans la forme, disait nettement que la femme devait être soumise à son mari comme « une inférieure à son supérieur. »

De la crainte, de la défiance, les susceptibilités d’un orgueil ombrageux, voilà ce qui fait le fond de ces opinions : elles sont restées à peu près pareilles du XIIIe siècle au XVIIIe : elles s’opposent aux louanges des littérateurs et des poètes, elles font un contraste surprenant avec l’empressement des hommes à rechercher la société des femmes et l’estime qu’ils parurent témoigner toujours soit de leurs qualités intellectuelles, soit de leurs vertus. C’est qu’en réalité il y eut deux opinions, celle des hommes, celle des maris parlant par la bouche des jurisconsultes ; l’une sur la femme, l’autre sur l’épouse. Il s’est toujours trouvé un sentiment public pour goûter les mérites rares de la femme française, et des voix pour les proclamer : il se trouva aussi bien un sentiment public qui souhaitait l’assujettissement des femmes à leurs maris, et des voix grondeuses ou sèches, celles des jurisconsultes, pour en donner les raisons. Si l’on cherche plus avant, n’est-ce pas un peu d’égoïsme viril qui se révèle ainsi, pareil sous ces deux aspects opposés ? Pour toutes les qualités d’esprit ou d’âme dont ils tiraient plaisir ou profit, les hommes ont payé leur dette de reconnaissance ; ils ont reconnu aux femmes une influence sociale, où ils eurent d’ailleurs des satisfactions, tandis qu’elles-mêmes y oubliaient le souci d’avantages pécuniaires et de droits patrimoniaux. En revanche, concéder à la femme mariée une petite part de direction, ne fût-ce que pour lui laisser l’administration de la maison même ou pour l’associer aux actes de disposition, cela parut insupportable. Il aurait fallu rogner sur la part du mari, restreindre un peu son rôle. Les hommes ne le voulurent à aucun prix. Ces opinions de jurisconsultes, si déplaisantes et rudes, donnent seulement un prétexte à une volonté qui pouvait bien s’affirmer telle quelle. La volonté générale fut que, dans le mariage, toute autorité, toute responsabilité, toute liberté restassent au mari. Il convient d’ajouter que, dans les pays coutumiers, avec le régime des biens et des acquêts communs, le mari enrichissait la femme, dès lors qu’il s’enrichissait lui-même. L’âpreté des hommes à défendre la