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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/413

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époux ont et exercent un droit égal pour l’administration de leurs biens. » (Article 11) : il supprimait aussi et la puissance maritale et l’incapacité de la femme : son rapport, présenté à la Convention le 9 août 1798, est muet sur l’une et sur l’autre question. Moins de dix ans après, le même Cambacérès collaborait comme Consul à la confection d’un Code civil qui prit un autre nom que le sien. Ses idées, celles de tous avaient changé ; il fallait garder les traditions essentielles du passé, garder aussi les progrès déjà vérifiés. Ce dessein, Bonaparte l’encourage, et d’ailleurs y ajoute la pensée profonde de son ambition.

Peut-être, à lui seul, le Premier Consul eût-il maintenu la femme mariée dans sa condition juridique de l’ancien droit : il ne voyait en elle que la mère, de qui il exigeait beaucoup d’enfans, dont il ferait des soldats. Il n’apercevait que le mariage, la famille, les enfans nombreux si nécessaires à la force de son gouvernement ; et pour les femmes elles-mêmes qu’il méprisait, l’idée ne lui vint pas qu’elles pouvaient mériter dans l’association conjugale un rôle d’associées. Cependant ce fut sa pensée si forte, si fortement exprimée qui, inspirant les juristes et trouvant en eux une tendance à plus de liberté, inclina la loi du mariage vers des solutions plus équitables. Jusque-là, la loi civile avait été faite par la Coutume, c’est-à-dire par les aspirations et les habitudes du peuple même que fixaient et réglaient les jurisconsultes. Pour la première fois, le chef de l’Etat entendait ordonner cette loi tout entière, et il voulait qu’elle concourût à lui faire la nation strictement disciplinée, mais robuste aussi et vigoureusement organisée, sur laquelle il exercerait le pouvoir absolu. Devant cette conception énergique et nouvelle, l’idée ancienne de l’intérêt du mari, les sentimens anciens d’orgueil et d’égoïsme virils n’avaient en eux-mêmes aucune valeur. Ce qui vaut aux yeux de Napoléon, c’est le mariage. Ce qu’il faut protéger, rendre solide et fort, c’est le mariage. On n’avait connu que l’intérêt du mari : on connaîtra désormais l’intérêt du mariage. Voilà la notion nouvelle. Dictée par un esprit absolu et pour des fins de pouvoir absolu, elle est néanmoins plus large que l’ancienne. Elle rencontre justement auprès de ces juristes, Cambacérès, Portalis, une disposition libérale, résultat de tant d’aventures, de tant de courses à travers tant d’idées. Ils resteront fidèles aux habitudes, juridiques de leur passé ; ils puiseront à pleines mains dans Pothier qu’ils ont vénéré toujours,