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des formes exactes, dans leur juste milieu de lumières et de couleurs, les divers aspects du monde visible, eût atteint le degré de perfection qu’il n’était point possible de dépasser ?

Les événemens, là comme toujours, prouvèrent que rien ne peut être fixé dans les incessantes aspirations de l’homme vers l’idéal. À cause même de ses fortes et longues traditions, l’Italie, fatalement, n’avait point été la première à retrouver, par le ciseau du tailleur d’images, la plume et le pinceau de l’enlumineur, le sentiment naïf de la vérité et de la vie. Moins hantés par les souvenirs antiques, les simples ouvriers de France et d’Allemagne avaient plus spontanément, aux XIIe et XIIIe siècles, jalonné d’œuvres nouvelles la route à suivre. Mais, vers 1250, l’Italie s’est mise en marche à son tour, et, bientôt, l’éclairé d’une lumière plus vive, sinon plus puissante et plus haute, grâce à la renaissance rapide, chez ses prédicateurs et chez ses écrivains, de l’amour de la vie et du sentiment de l’art. Les extases poétiques de saint François sur les douces collines de l’Umbria Verde appelant les âmes attendries à toutes les joies pures de la vie terrestre, comme à celles de la vie céleste, ont enfin délivré la nature extérieure, végétale et animale, des malédictions ou mépris séculaires, et l’ont dévoilée, de nouveau, vierge et charmante, aux yeux des peuples. Au même moment, l’incrédule empereur, Frédéric II, s’est associé, par d’autres voies, à l’œuvre du saint, rappelant aux Italiens que cette admirable nature a déjà été adorée et comprise par l’antiquité gréco-romaine. Voilà donc le mysticisme et le rationalisme, la foi et la politique, la naïveté populaire et la tradition aristocratique collaborant, dès lors, avec une ardeur inouïe, pour ressusciter, dans les esprits, la douceur de vivre, le désir de savoir, la hardiesse de penser. Les poètes, humanistes, érudits, savans, avec et autour de Dante, Pétrarque, Boccace, Alborti, Toscanelli, Lorenzo de Medici, etc., vont, par centaines, durant près de trois siècles, accélérer le mouvement.

Comment les sculpteurs et les peintres auraient-ils échappé à la contagion féconde d’un travail d’intelligences si extraordinaire ? Quoi d’étonnant à ce que, éveillés, fortifiés, éclairés, par ces éclatans appels de la foi et de la science, noblement entraînés dans ce grand mouvement d’imagination et de raison, ils aient développé aussitôt des qualités particulières ? C’est, d’abord, dans les recherches techniques sur les formes et les mouvemens,